Les Bénédictins après l'époque carolingienne
Devant l'émiettement et la violence de la société féodale née de la fin de l'Empire carolingien, la papauté ayant peu à peu perdu de son prestige, ce furent les évêques -essentiellement en Aquitaine et en Bourgogne, zones d'influence de Cluny- qui s'efforcèrent d'y remédier. Stricto sensu, ce fut le concile du Puy en 990 qui inaugura le mouvement de la "paix de Dieu". Peu à peu, au XIème siècle, le mouvement gagne les régions septentrionales mais, le pouvoir étant plus fort en Allemagne la paix de Dieu n'y arrive que vers 1080. Vers 1030, la paix de Dieu peinait à trouver une véritable expression et l'Eglise passa alors au concept de "Trêve de Dieu", définition d'un espace temporel, dans le cycle liturgique, d'interdiction de la violence (par ailleurs, l'Eglise reste impuissante à supprimer les ordalies ni les duels judiciaires). Il est possible que, dans la seconde moitié du XIème siècle, la sauvagerie féodale ayant été peu pou prou contenue, l'Eglise ait voulu la détourner vers les Croisades ("Paix aux Chrétiens, guerre aux Infidéles"). L'Eglise, au XIème siècle, de plus, connaît le grand mouvement de réforme des abbayes bénédictins, particulièrement celui de Cluny qui sera le seul à fédérer étroitement les monastères, d'une part et à faire allégeance au pape pour se libérer de l'autorité des évêques. Les Bénédictins doivent se séparer de ce monde la féodalité et, ce que les abbés voire le pape avaient refusé de Benoît d'Aniane, ils l'acceptèrent dès lors, la commune obédience au pape garantissant contre la violence des temps. Au XIème siècle, l'effort clunisien sera soutenu par les rois et l'empereur. Quelques monastères, cependant, refuseront la réforme clunisienne alors que certains évêques, par gallicanisme ecclésiastique opposé à Rome, batailleront aussi. Les liens confédérationnels furent moindre aussi en Allemagne alors que, d'une façon générale, le clergé séculier restera pris dans les désordres de la féodalité (mais, en son sein, apparaissent déjà des "pré-grégoriens" qui annoncent la querelle des Investitures et qui remettent en cause la mainmise des féodaux)
Les Bénédictins, à partir de l'époque carolingienne, passèrent d'abord essentiellement, pendant deux siècles, sous la houlette du système de Cluny, cette abbaye bourguignonne qui élabora un système hautement centralisé de gouvernement et prôna une réforme du monachisme d'après l'idéal bénédictin. C'est le duc Guillaume d'Aquitaine qui, aux marges de ses domaines, a permis de fonder l'abbaye, en 910; il a fait don des terres à St Pierre et St Paul, soit à la papauté; les moines venus de Baume, dans le Jura, appliquent, sous l'abbé Bernon, une règle réformée issue de celle de St-Savin (Poitou) via St-Martin d'Autun. Certains voient Cluny comme l'ultime conséquence de la volonté réformatrice de Benoˆt d'Aniane. Le deuxième abbé est déjà devenu si prestigieux qu'il sera abbé de deux monastères à Rome même et l'essor de Cluny est dû à son immédiateté au pape, tradition qui existait pour les monastères nouveaux depuis le IXème siècle. La réforme clunisienne, cependant, très axée sur la liturgie monastique -une liturgie de la "splendeur"- et sur la mémoire des bienfaiteurs, verra décliner le travail. La réforme clunisienne, quoique la plus importante, ne fut pas le seul mouvement de réforme de l'époque, laquelle avait vu de nombreux monastères menacés ou pillés par les invasions renouvelées, en Europe, des Normands, Hongrois et Sarrasins. Gorze fut un autre mouvement de réorganisation du monachisme bénédictin. Cluny entend être l'Eglise de la Pentecôte, modèle de communautarisme chrétien et se libère du renouveau du pouvoir des évêques, le pape leur accordant de s'adresser au prélat de leur choix pour les ordinations d'abbés et les consécrations d'églises (998). L'ordre bénédictin, cependant, se hiérarchise au profit de la maison-mère et, finalement, de Rome. La volonté de réforme de Cluny, par ailleurs, se compliqua de l'insertion de l'Eglise, depuis vers 950, dans le système impérial des empereurs ottoniens (le Saint Empire romano-germanique) dont les souverains soutinrent cet effort de réforme ou s'y opposèrent, en tout cas toujours césaropapistes. 315 monastères clunisiens existaient au XIIème siècle. D'autres réformes et des unions de monastères, sur le modèle de Cluny -à fins de centralisation- eurent lieu à ces époques (en Italie; avec St Dunstan, St Ethelwood ou Lanfranc en Angleterre; plusieurs monastères en France, tel la Chaise-Dieu, St-Victor, St-Claude ou Tiron; en Allemagne: Fulda et Hirschau; en Autriche: Melk et Salzbourg; divers autres pays européens: Ecosse, Scandinavie, Pologne, Hongrie). Beaucoup d'abbayes, par contre, ne firent partie ni de l'ensemble de Cluny ni de ces autres mouvements. Cette partie du Moyen-Age fut également l'époque à laquelle différentes réformes de la Règle de Saint-Benoît furent entreprises, qui menèrent à la naissance d'ordres séparés. Ainsi les Cisterciens
L'étape suivante la plus importante fut le IVème Concile de Latran, en 1215. Son canon 12 décréta que tous les monastères de chaque province ecclésiastique devaient s'unir en une congrégation, avec leurs abbés -dont l'un était président- se réunissant tous les 3 ans, ayant le pouvoir de prendre des lois contraignantes pour toutes les maisons de la congrégation et d'envoyer des "visiteurs" qui faisaient rapport sur l'état des abbayes et monastères. L'Angleterre fut la première à mettre en oeuvre les mesures nouvelles. Mais le reste de l'Europe ne le fit que vers 1336, une fois la bulle "Benedictina" prise par Benoît XII, laquelle décidait d'encore plus d'union et de centralisation. Certains pays, de temps à autre, essayèrent de mettre en vigueur un niveau plus important encore d'organisation. Cette organisation des XIIIème et XIVème siècles, bien qu'avec des exceptions ou de légères variations, reste celle des Bénédictins aujourd'hui. Les Bénédictins, au début du XIVème siècle, représentaient le nombre énorme de 37000 abbayes et monastères, ayant donné à l'Eglise 24 papes, 200 cardinaux, 22000 évêques et archevêques. Les plus grands souverains du Moyen-Age -ou leurs épouses- avaient rejoint les rangs de l'ordre
La Réforme, au XVIème siècle, réduisit le nombre des monastères bénédictins à 5000. En Allemagne, tous les monastères furent confisqués par les Luthériens vers 1551. Les Lumières en Autriche et la Révolution Française terminèrent ce travail de destruction. Au début du XIXème siècle, il ne restait plus que 50 maisons bénédictines en Europe... Le XIXème siècle fut un siècle de renaissance bénédictine. Les abbayes et monastères finirent par revenir à un nombre de 700
Suivent plus de détails sur l'histoire des Bénédictins après le concile de Latran, par pays (par pays, dans l'ordre alphabétique). On doit noter que deux abbayes n'appartiennent à aucune congrégation mais sont rattachées immédiatement au pape: l'abbaye de Fort Augustus, en Ecosse (abbaye du XIXème siècle créée pour maintenir en Ecosse la présence de la congrégation anglaise ainsi que pour maintenir une continuité avec des monastères écossais qui avaient été fondés en Allemagne et en Autriche; séparée de la congrégation anglaise par le pape en 1883 et abbaye indépendante en 1888) et l'abbaye et Collège Bénédictin International de St-Anselme, à Rome -cette dernière institution étant l'université pour tous les Bénédictins du monde depuis 1886. L'abbé de St-Anselme a le titre d'"abbé primat" de l'ordre bénédictin. Elle était née en 1687 comme collège des Bénédictins de la congrégation de Cassino
Comme les données sont prises de la "Catholic Encyclopedia", qui date du début du XXème siècle, une note additionnelle donne l'état contemporain de l'orbe bénédictine
- Allemagne: 136 abbayes et monastères -dont les plus importants d'Allemagne- composèrent l'"Union de Bursfeld" à son apogée. Elle fut fondée en 1430. La plupart passèrent en des mains luthériennes au XVIème siècle. Un répit, en 1628, permit aux Bénédictins d'Allemagne d'offrir la plupart de leurs monastères d'alors à la Congrégation anglaise, à la condition que les monastères qui seraient repris des Luthériens seraient remis aux moines allemands. Il n'y eut jamais aucun monastère repris aux Luthériens. La "Congrégation de Beuron", par ailleurs, fut fondée en 1863, près de Sigmaringen, avec le patronage de la princesse Catherine de Hohenzollern, sur la base d'un effort de restaurer l'ordre bénédictin en Allemagne. Banni en 1875 par les lois prussiennes, les Bénédictins revinrent finalement en 1887. La Congrégation de Beuron a des maisons en Belgique, à Prague, en Styrie et au Portugal. La "Congrégation de St-Ottilien" est l'autre congrégation allemande. La congrégation d'origine n'était pas bénédictine et avait été fondée pour travailler aux missions étrangères. Devenue bénédictine, affiliée à la Congrégation cassinienne en 1897, elle recruta principalement parmi les membres de la Congrégation de Beuron et elle a repris le but missionnaire de la congrégation d'origine, envoyant des missionnaires en Afrique Centrale
- Angleterre: l'Angleterre fut le premier pays à mettre en oeuvre la réforme de Latran, d'abord les abbayes de la région de Canterbury puis, avec la Benedictina l'ensemble de l'île. Les Bénédictins furent finalement détruits sous le règne d'Henri VIII, le fondateur de l'anglicanisme, le nombre de leurs maisons atteignant alors 300. Quelques Bénédictins finirent par fonder une congrégation anglaise restaurée en 1633, confirmée par une bulle d'Urbain VIII. Beaucoup de ces Bénédictins, dont le but était de re-convertir l'Angleterre au catholicisme, connurent le martyre. Certains monastères anglais installés sur le continent, sur la base de la formation de moines anglais à l'étranger, principalement en Espagne, firent partie de la nouvelle lignée des monastères bénédictins anglais, officiellement affiliées en 1619 par le pape. Ce fut Dom Sigebert Buckley (mort en 1607) qui fut le lien entre les Bénédictins d'avant et d'après la Réforme anglicane
- Autriche: il faudra attendre 1470 pour que 16 maisons autrichiennes finissent par se former en une union. Après un essai manqué en 1623 pour une congrégation valant pour toute l'Autriche, la Bavière et la Congrégation allemande de Bursfeld -qui ne mena finalement qu'à la fondation d'une nouvelle petite congrégation centrée sur l'abbaye St-Pierre à Salzbourg, l'Autriche eut donc la première congrégation (la Congrégation de Melk) et celle de Salzbourg. Le règne de Joseph II (1765-1790) porta de graves coups au monachisme autrichien. Le XIXème siècle en arriva finalement à deux congrégations nouvelles, en 1889: celle de l'Immaculée Conception (Göttweig), et celle de St-Joseph (Salzburg)
- Bavière: la "Congrégation de Bavière" apparut en 1684, suite aux décrets du Concile de Trente. Elle comprenait 18 maisons et elle fut supprimée au début du XIXème siècle. Elle fut finalement restaurée en 1858
- Espagne: deux congrégations distinctes existaient en Espagne: la Congrégation des "Claustrales" -ou Congrégation de Tarragone- (créée en 1336) et la Congrégation de Valladolid (créée en 1489). Elles comprenaient 66 monastères en tout. Salamanque était célèbre pour son université et il y avait une maison à Compostelle. Les ordres religieux furent abolis en Espagne en 1835. Il n'y eut pas de renaissance proprement espagnole et la plupart des monastères passèrent à la Congrégation Cassinienne de la Stricte Observance
- Etats-Unis: alors que l'on pense que des Bénédictins pourraient s'être trouvés chez les Esquimaux du nord du continent dans des temps anciens, ce n'est pas avant 1846 que les Bénédictins s'installèrent aux Etats-Unis, essentiellement pour pourvoir aux besoins spirituels de la forte communauté bavaroise qui avait émigré dans le pays. Leurs maisons se développèrent rapidement. Leur congrégation est la "Congrégation Cassinienne Américaine". Des moines suisses d'Einsiedeln, par ailleurs, s'installèrent en Amérique en 1845 et la "Congrégation Américaine Suisse" fut créée en 1870
- France: la "Congrégation de St-Vannes" apparut en Lorraine, en 1598, d'une volonté de réforme des monastères de la région et elle se développa aussi en Alsace. Elle conserva son indépendance malgré le rattachement du duché à la France. Entre temps, pour éviter que les Bénédictins de France ne dépendent d'une congrégation de Lorraine, une congrégation séparée, la "Congrégation de St-Maur" fut organisée en 1621. Elle comprit 108 maisons et St-Germain-des-Près, à Paris, en fut la maison-mère. Ce qui restait des monastères clunisiens n'y appartint pas. La congrégation fut modelée sur la Congrégation Ste-Justine de Padoue et elle devint célèbre grâce aux oeuvres littéraires de ses membres (tel Mabillon, les "Mauristes"). Les Bénédictins, en France, furent frappés par la Révolution et la "Congrégation gallicane" fut finalement fondée en 1837, centrée sur l'abbaye de Solesmes (Dom Guérange). Le pape Grégoire XVI la déclara l'héritière des congrégations de Cluny, St-Vannes et St-Maur. La Congrégation gallicane fut persécutée avec régularité et expulsée de France en 1903 et ses membres fuirent sur l'île de Wight (en Angleterre), en Belgique, Espagne ou Italie. Les pères de Paris ne furent pas expulsés et poursuivirent le travail d'érudition des Mauristes
- Hongrie: l'originalité de la "Congrégation hongroise" est qu'elle possède une archi-abbaye -celle de Monte Pannonia, fondée en 1001 par le roi Etienne Ier. Les Hongrois sont maintenant affiliés, avec indépendance, à la Congrégation cassinienne
- Italie: avec le Mont Cassin comme maison-mère, la "Congrégation cassinienne" -ou "Congrégation de Ste-Justine de Padoue" trouva ses origines à la fin du XIVème siècle, au moment où les monastères clunisiens d'Italie avait atteint le bout de leur décadence. Un chanoine régulier de St-Georges in alga, en 1409, prit la tête de l'abbaye de Padoue et il y mit en place une réforme bénédictine qui mena finalement à la renaissance bénédictine en Italie. Subiaco, le Monte-Cassino, anciennement clunisiens, joignirent le mouvement, ainsi que St-Georges de Venise, ou St-Paul de Rome. L'abbaye de Lérins et ses maisons affiliées, rejoignirent la congrégation italienne en 1505. Le nombre de maisons finit par atteindre 200 et la congrégation devint hautement centralisée, s'éloignant presque d'une réelle observance bénédictine, se fondant sur le modèle des communes italiennes. En 1851, au XIXème siècle, l'abbé de Subiaco initia un retour à une plus stricte observance et plusieurs monastères de la Congrégation cassinienne le rejoignirent. La nouvelle congrégation se développa même au niveau mondial. Elle devint finalement indépendante, sous le nom de "Congrégation Cassinienne de la Stricte Observance", en 1872, l'abbé de Subiaco étant l'abbé-général. La province française de cette congrégation est la plus florissante, avec La Pierre-qui-Vire, Fleury, Belloc ou Encalcat, ainsi que la province espagnole (Montserrat -l'abbaye du IXème siècle- St-Clodio, Vilvaneira, Samos, Los Cabos, Solsona)
- Pays-Bas: la Congrégation de St-Placide trouve ses origines lorsque l'abbaye de St-Hubert adhéra à la réforme de la congrégation de St-Vannes en 1630. Elle exista jusqu'à la Révolution. Depuis, deux maisons restaurées ont été affiliées à la province belge de la Congrégation Cassinienne de la Stricte Observance
- Portugal: une réforme des Bénédictins, via des Bénédictins espagnols, y donna la "Congrégation portugaise" en 1566 (pape Pie V). Elle finit par englober tous les monastères bénédictins du pays. Les libéraux supprimèrent les couvents au début du XIXème siècle. Un essai de restaurer un couvent eu lieu en 1875 mais il finit par être affilié à la congrégation allemande de Beuvron. Pour ce qui est du Brésil, les Bénédictins y abordèrent en 1581 mais leurs maisons demeurèrent soumises à la congrégation du Portugal. Lorsque le Brésil devint indépendant, une congrégation brésilienne indépendante fut créée. Elle fut réduite à quasi-rien du fait de l'interdiction faite par le gouvernement de recevoir de nouveaux novices dans les monastères. C'est à la congrégation allemande de Beuvron que le pape demanda d'aider à restaurer les Bénédictins au Brésil
- Suisse: les abbayes et monastères bénédictins de Suisse se transformèrent en la "Congrégation suisse" en 1602 grâ aux efforts de l'abbé d'Einsiedeln. Bien qu'affaiblie, ellesurvécut aux troubles de la fin du XVIIIème siècle
note additionnelle: il existe, en 2006, 21 congrégations bénédictines nationales ou supranationales. Les "abbés-présidents" des congrégations -ils sont élus- se rencontrent annuellement dans le "Synode des Présidents" et une réunion, tous les 4 ans, réunit tous les abbés et supérieurs de l'ordre (c'est le "Congrès des abbés"), qui élit l'"abbé-primat" pour 4 ans. Le siège de l'abbé-primat est toujours à St-Anselme, à Rome. Les plus importantes congrégations contemporaines sont les suivantes (par ordre alphabétique des congrégations; la date de création est donnée pour les congrégations qui ne sont pas traitées dans la précédente liste):
- la Congrégation Américaine Suisse
- la Congrégation anglaise
- la Congrégation de l'Annonciation (1920)
- la Congrégation Autrichienne
- la Congrégation Bavaroise
- la Congrégation de Beuron
- la Congrégation brésilienne
- la Congrégation Cono-Sur (1976)
- la Congrégation Cassinienne
- la Congrégation Cassinienne Américaine
- la Congrégation Hongroise
- la Congrégation néerlandaise (1969)
- la Congrégation de St-Ottilien
- la Congrégation slave (1945)
- la Congrégation de Solesmes (ancienne Gallicane)
- la Congrégation de Subiaco (ancienne Cassinienne de la Stricte Observance)
- la Congrégation suisse
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