Les Francs, quand ils sortent de Germanie, parlent le francique. On dit francique, francisque et aussi théotisque, théodisque, tudesque puisque les Francs appartenaient à la grande famille des "tudesques", des peuples germaniques. On désignait par Tudesques, ou Teutons, les peuples germaniques qui, au cours des migration depuis la Scandinavie, jusqu'au IIIème siècle de notre ère, s'étaient installés dans l'actuelle Allemagne, du Rhin à la Vistule et au confluent de la Morava et du Danube et de la mer du Nord et de la Baltique aux limites de l'Italie; seule une partie de ces peuples étaient restés en Scandinavie, tels les Goths, Suèces, etc. La langue des Germains, en Scandinavie, n'était qu'une et elle se divisa en deux branches lors de la migration. Progressivement, ce fonds germanique se différencia en trois groupes, le germanique de l'Ouest, de l'Est et du Nord. Jusqu'au Xème siècle, malgré d'autres divisions à l'époque des Grandes Invasions qui donnent le haut, le moyen et le bas-allemand (haut, moyen, bas référant au cours du Rhin), les différents peuples d'origine germanique purent encore se comprendre, mais vers le Xème siècle, les différences s'étaient accentuées suffisamment pour rendre difficile cette compréhension commune. C'est dans ce contexte qu'apparut la langue des Francs. La langue de Clovis, ou "vieux-francique" ou "vieux bas francique" appartient au bas-allemand la langue des Germains du Nord, sur le cours inférieur du Rhin (il est de la même famille que le néerlandais ou le flamand actuels). Quelques mots se sont perpétués dans la loi salique. Il semble que le vieux-francique connaissait différents dialectes dont celui des Francs ripuaires. Mais, le francique de Charlemagne était devenu le francique rhénan, une langue du groupe moyen-allemand, qui n'était pas affilié au vieux-francique de Clovis. Le francique de Charlemagne se parlait dans des territoires ou le bas-allemand, le moyen-allemand et le haut-allemand étaient déjà parlés. Jusqu'aux débuts des Capétiens, les rois, les seigneurs, les soldats et les libres francs vont parler le francique rhénan. Et, encore sous Charlemagne, le moine Otfride, disciple de Raban Maur, continue d'appeler la langue franque via tous les vocables que l'on a évoqué au début de ce tutoriel. A l'époque mérovingienne, il est possible que les Francs saliens, implantés hors du vieux territoire franc, aient déjà plus ou moins, commencé de perdre un peu de leur originalité aux milieux des peuples gaulois parmi lesquels ils vivaient mais il est cependant aussi possible que l'intérêt soutenu des Francs mérovingiens pour les pays allemands, considérés comme une zone naturelle d'influence ainsi que pour l'Austrasie, à qui ils donnent vite des souverains autonomes, leur ait permis de maintenir fortement leurs racines germaniques. Pour ce que est des Carolingiens, on connaît le goût de Charlemagne pour tout ce qui relevait de sa culture nationale, celles des Francs ripuaires, des Francs d'Austrasie, y compris la langue et le costume
Charlemagne est également célèbre car il fit rédiger par écrit toute l'antique culture germanique, celle qui venait des premiers Germains et qui, à travers les âges, chantait les exploits des héros, des chefs et des guerriers. Il avait recueilli et transcrit de sa main les poésies antiques dans lesquelles les Francs avaient chanté les hauts faits de leurs guerriers. A table, il se faisait lire les histoires contenant les faits des anciens rois et il avait appris par coeur les vers barbares et antiques par lesquelle on chantait les actions et les hauts faits militaires des anciens rois. Les chants épiques germaniques se rattachent surtout à la période qui va du IIème au VIème siècle de notre ère, période de changement et de destructions au cours de laquelle les Germains ostiques et westiques changèrent de territoires et période qui comprend aussi l'époque de la chute de l'Empire romain. Déjà, sous Tacite, les Germains chantaient Arminius, celui qui à Teutoburg, avait exterminé les légions de Rome, plus ou moins déifié et son fils Mann, qui était considéré comme ayant fondé la nation germanique. Ces poèmes étaient les seules annales que connaissaient les peuples germaniques et, dès Charlemagne, ces vers étaient devenus difficiles à comprendre. Ces anciens textes, des chants épiques, à l'époque de Charlemagne, tendaient à se perdre car ils n'étaient qu'une littérature orale et l'ancienne langue germanique avait désormais tendance à se perdre. Charlemagne connaissait par coeur ces anciennes sagas. La volonté de Charles de donner une grammaire claire au francique participe du même esprit. La collection écrite que Charlemagne compila de cette ancienne littérature des Germains s'est perdue. Certains pensent qu'elle fut brûlée sur ordre de Louis le Pieux, car trop proche du paganisme (cependant, ce souci de rappeler les actions passées sera repris par le Concile de Francfort, qui se prononce sur Nicée II et l'inclut dans le rôle esthétique et pédagogique de l'image. S'y mêle aussi, selon la logique que l'Ancien Testament annonce le Nouveau, des conquérants anciens (Cyrus, Ninus, Alexandre, Hannibal) préfigurant les nouveaux (Constantin, Théodose, Charles Martel, Pépin, Charlemagne). L'histoire, telle que connue par les auteurs de l'Antiquité, par ce rôle, se trouvait valorisée).!!!!!Quelques fragments furent publiés longtemps après l'époque carolingienne par les poètes scandinaves et saxons. La versification en langue romane ne commença, ensuite, d'apparaître qu'au XIIème siècle. G. Gley, Langue et littérature des anciens Francs, 1814 est une référence sur le sujet, qu'on trouve sur Internet avec ces mots-clés. Suivent, à la fin de ce tutoriel, deux textes en francique Certains !!!!! pensent que tout ou partie de l'oeuvre, par exemple, aurait pu atteindre les Minnesänger, ces trouvères allemands et Wolfram d'Eschenbach, trouvère des XIIème et XIIIème siècles, dit utiliser un "ancien livre" qui aurait pu être la collection de Charlemagne. Il y puisa les "Voyages par mer de l'empereur Otnit" et "Les aventures de Weigand Dietrich et celles de son fidèle Meister Hiltebrand". Il est possible aussi, que sur la couverture d'un manuscrit latin du VIIIème ou du IXème siècle, le fragment d'un combat raconté en langue francique ait aussi appartenu à la collection de Charles. Pour Charlemagne, le francique était la "langue de ses pères". Il écrivait son nom avec un "K", lettre propre au francique et le monogramme de Charles porta toujours ce K
Le francique est toujours la langue de Louis le Pieux (qui parlait aussi le grec et le latin). Le Serment de Strasbourg est en francique et en roman et, au milieu du Xème siècle, on est encore obligé de traduire un discours latin en francique, en 948, pour qu'un roi le comprenne. Le projet de grammaire, entrepris par Charlemagne avec Nannon, Théobald, Alcuin et Bérenger fut finalement abandonné du fait d'autres tâches et on ne la reprit pas après la mort de Charles. Un moine, cependant, Otfride, disciple de Raban Maur, poursuivit ce travail, ses travaux en prose et en vers, de plus, attestant qu'il connaissait les règles du francique. Selon Otfride, Charlemagne aurait également inventé d'"autres alphabets" dont il se servait pour correspondre "avec les préfets des provinces dans son vaste empire". Certains fragments de la "Grammaire francique" d'Otfride ont été publiés anciennement et Otfride avait conservé des fragments de ces autres alphabets. Raban Maur, lui, a composé des glossaires franciques, selon l'usage d'un temps où il fallait, pour les divers usages du gouvernement ou de l'Eglise, que les officiels et les clercs pûssent exprimer dans la langue de leurs administrés des textes ou des concepts rédigés en latin. Les poésies franques aiment l'allitération -qui est une invention franque, c'est-à-dire l'uniformité des lettres initiales dans les mots qui présentent les idées principales du même vers et les Francs furent les premiers à avoir employé la rime, l'uniformité dans les sons des syllabes qui terminent deux vers correspondant l'un à l'autre. L'allitération n'a pas survécu au siècle de Charlemagne car elle est peu favorable au mouvement naturel de la versification. La rime, au contraire, s'est étendue à tous les peuples d'Europe
Les intellectuels de la Renaissance carolingienne avaient pris des noms de terminaison latine et ils écrivaient en latin quoique leur langue maternelle ait été le francique. Selon l'usage des Grecs et des Romains, ils appelait le francique une langue "barbare". Mais les conciles provinciaux de 813 insistent sur la nécessité de prêcher dans les langues réellement "vivantes" du temps. Ceux de Mayence ou Reims disent qu'il faut prêcher selon "la propriété de la langue" dont se sert le peuple afin qu'il puisse comprendre le sens de la parole divine. Ces langues vivantes, ainsi, peu de temps avant la mort de Charles, y compris dans la région de Tours, loin des terres germaniques, sont la "langue rustique romane" pour le peuple et la "langue théodisque" pour les Francs. Ces dispositions se retrouvent au concile de Mayence de 847. Encore dans un capitulaire de 829, de Louis le Pieux, une institution, la dissolution du ban au retour de l'ost du comte avec ses soldats, se voit rappeler son nom francique: "le ban sera dissous pendant 40 jours, ce que l'on appelle en langue théodisque, "scatlegi" ou "repos d'armes"". Jusque tard, enfin, sous les Capétiens, vers 1200, se maintint encore un fort vocabulaire et des noms de famille et de lieu francs, le vocabulaire finissant par participer à la synthèse qui mènera, via la Renaissance, à la langue française contemporaine. Le francique commença, en termes d'implantation géographique, par s'éloigner de la Francie Occidentale à partir d'Hugues Capet puis de ses successeurs: le francique s'arrête aux Vosges et aux frontières de la Flandre. La cause de ce retrait du francique est essentiellement la division de l'empire carolingien: les seigneurs francs sont, lors des partages, obligés de se fixer dans l'un ou l'autre des nouveaux royaumes alors que jusque là leurs possessions étaient réparties dans tout l'empire. De plus, la langue romane commença peu à peu de s'élever dans l'échelle culturelle et, finalement, elle se généralisera par ce biais, les troubadours puis les trouvères la popularisant. Enfin, y compris, dans les terres germaniques, le francique fut supplanté par la langue dite "souabe" ou "allemande", qui, là aussi, fut la langue généralisée par les Minnesänger et qui devient la langue de la cour des Hohenstaufen (cette langue cèdera elle-même la place à un saxon modifié de francique, à l'époque de Luther, dit langue "francique" ou "saxonne"). Le francique proprement dit, n'a survécu, jusqu'à aujourd'hui encore, que dans les régions frontières entre la francophonie et les terres germaniques, de la Flandre à la Sarre et la forme la plus proche, de nos jours, semble bien être le luxembourgeois. Le francique est, essentiellement, une langue germanique, avec déclinaisons et genres. Il présente, de plus, une très grande liberté écrite pour rendre une même prononciation. A la différence des Anglo-Saxons, les Francs utilisèrent tôt l'alphabet latin pour transcrire leur langue. Dans certains textes carolingiens, on peut trouver certaines majuscules anglo-saxonnes: C, M, Z ainsi que le g minuscule, un b barré qui vaut soit f soit v ou un d barré qui vaut th. - le u du francique se prononce "ou", le uu vaut w (exemple, "uuan" se prononce "wan" (quand)). Un uu suivit d'un u donne donc un mot avec trois u: "antuuuord" est "antword", réponse, ou "uuunta", "wunta", blessure
1. Ode en l'honneur de Louis, fils de Louis le Bègue, pour célébrer sa victoire en 883 contre les Normands. Ce chant national des Francs fait mémoire d'une victoire éclatante gagnée par Louis, fils de Louis le Bègue, près de Sodalcurt, sur les Normands, qui laissèrent 8000 morts -dont leur roi Guaramund- et 9000 chevaux. Cette invasion des Normands dans le Ponthieu et les provinces voisines avait été facilitée par Esimbard, un noble disgrâcié par Louis, le nouveau roi. Louis impressionna "les peuples des Gaules" car il défendit vaillamment son royaume contre les incursions vikings (texte original francique à gauche;, traduction libre en français à droite; la numérotation, côté texte français, peut parfois être approximative)
1 Einen Kuning weiz ich, Heisset herr Luwdwig, Der gerne Gott dienet, Weil er ihms lohnet. 5 Kind war er uaterlos Dess warth ihme sehr bos Holoda inan Truhtin, Magaczogo warth her sin. Gah her ihme Dugidi, 10 Fronisch githigini Stuel hier in Frankon. So bruche er es lango. Das gedeild er thanne Sar mit Karlomanne 15 Bruder sinemo, Thia czala wanni ano. O das warth al geendist, Koron wolda sin God iz, Ob her arbeidi 20 So lang tholong mahti. Liess der heidine mann Obar si lidan, Thiot Francono Mannon sin diono; 25 Sume sar uerlorane Wrdun sum erkorane, Haranscara tholota Ther er misselebeta. Ther ther thanne thiob was, 30 Ind er thanana ginas, Nam sine uaston Sidd warth her guotman. Sum war luginani, Sum was skachari 35 Sum falloses, Ind er giburtha sih thes. Kuning was ehruirrit, Das richi al girrit. Was ehrbolgan Krist, 40 Leid her thes, ni gald iz, Thoh erbarmed es God Wiss er alla thia nod, Hiess herr Hludwigan, Tharot sar ritan. 45"Hludwig, Kuning min, Hilph minan liutin, Heigun sa Nordmann Harto bidwungan." Thanne sprach Hludwig, 50"Herro so duon ih Dot ni rette mir iz, Al thas thu gibiudist. Tho nam her Godes urlub, Huob her gundsanon us 55 Reit her thara in Frankon, Ingagan Nortmannon, Gode thancodul, Thesin beidodun." Quad: "Hin al fromin, 60 So lango beiden wir thin." Thanno sprach luto, Hludwig der Guoto: "Trostet hiu, Gesellion, Mine notstallon, 65 Hera santa mih God, Doh mir selbo genod, Ob hiu rat thuti, Thaz ih hier gesurti. Mi selbon ni sparoti, 70 Unz ih hiu ginerrti. Nu wil ih, thas mir uolgon Alle godes holdon. Gisherit ist thiu hierwist, So lango so will Krist. 75 Will her unsa bina warth, Thero habet giwaht. So wer so hier in ellian, Giduat Godes willian, Quimit he gisung us, 80 Ih gilonon imos; Bilibit her thorinne, Sinemo kumnie." Tho nam her skild indi sper, Ellianlicho reit her. 85 Vuold her warer rahchon Sina widarsakchon. Tho ni was iz buro lango Fand her thia Northmannon. GODE LOB: sageta. 90 Her siht thes her gereda. Ther Kuning reit kuono, Sang lioth frano, Joh alle saman sungon, Kyrie eleison. 95 Sang was gesungen, Wig was bigunnen, Bluot skein in wangon Spilodundert Frankon. Thar raht thegeno gelich 100 Nichein so so Hludwig Snel indi kuoni. Thas was imo gekunni. Suman thuruch sluog her, Suman thuruch staeh her, 105 Her skancta ce hanton Sinan fianton Bitteres lides, So wehin hio thes libes. Gilobet si thiu Godes kraft, 110 Hludwig warth sighaft. Sag allin Heiligon thanc, Sin warth ther Sigikamf. Odar abur Hludwig Kuning war salig, 115 Garo so ser turft was, Swar so ses turft was, Gihalde inan, Truhtin, Bi sinan eregrehtin. |
1 Je connais un roi puissant; c'est le seigneur Louis; je vais chanter ses exploits et sa gloire. Il sert son Dieu de tout coeur et il en a été récompensé avec largesse. 5 Dans son enfance, la mort lui avait enlevé son père; c'était, dans doute, un grand malheur, mais le Seigneur le tenait dans ses bras; il l'entoura de héros, de vaillants companons d'armes; 10 et il affermit son Trône au milieu de ses Francs. Puisse-t'il longtemps faire notre bonheur! Après la mort de son père, Louis avait partagé l'héritage paternel avec 15 Carloman, son frère, en portions égale et sans fraude. Son Dieu, qui voulait le tenter, et voir s'il était capable de soutenir une 20 longue épreuve, permit que des hordes de païens se répandissent sur son empire; il y eut même parmi les Francs des lâches 25 qui se rangèrent sous les bannières des Barbares; les uns abandonnèrent hautement leur Roi; les autres, dont on cherchait à corrompre la fidélité, étaient exposés à l'opprobre et à la dérision, lorsqu'ils restaient fidèles à leur prince. Un des traîtres, qui jusque là ne s'était fait connaître que 30 par sa mauvaise foi, profita de ces troubles pour affermir sa puissance; il s'empara des places fortes de son Roi; il était devenu un des premiers de la nation; on vit des hommes faibles et méchants, qui manquèrent à leur parole, et qui osèrent même, de concert avec de lâches meurtriers, tremper leurs mains dans le sang de leurs frères; 35 on dressait ouvertement des embûches à son voisin, afin de profiter de sa chute, pour s'élever soi-même. Louis fut frappé d'étonnement de de douleur, en voyant l'état dans lequel son royaume était tombé; le Christ 40 dans sa colère avait permis ces attentats, sans les punir; mais Dieu, qui voyait ces calamités, eut enfin pitié de son peuple; il ordonna au Seigneur Louis de s'armer de sa puissance et d'aller délivrer le royaume: 45 "Louis, mon Roi, allez, lui dit-il, allez secourir mon peuple, que les Normands tiennent courbé sous le joug de l'oppression et de l'esclavage". "Je vous obéis, Seigneur, 50 reprit Louis, je suis prêt à marcher, et la crainte de la mort ne m'arrêtera ps dans l'accomplissement de vos ordres." Sentant dans son coeur une force toute divine, 55 Louis élève l'oriflamme à la vue des Francs; il marche à leur tête contre les Normands, rendant grâces à Dieu, de qui il attendait secours et protection. "Venez, Seigneur, s'écriait-il, venez, c'est en 60 vous que nous mettons toute notre confiance." Alors Louis, ce prince auguste, dit à ceux qui l'entouraient, en élevant la voix: "Consolez-vous, mes braves compagnons d'armes! Braves chevaliers, 65 c'est Dieu lui_même qui m'a envoyé ici; son bras me soutiendra; mais j'ai besoin de vos conseils, pour conduire l'armée avec sagesse; vous me trouverez partout où il y aura du danger, je ne m'épargnerai point moi-même, 70 et je ne m'arrêterai que lorsque je vous aurai délivrés. Suivez-moi donc, vous tous qui êtes restés fidèles à votre Dieu et à votre Prince. Qu'est-ce que cette vie que Dieu nous donne ici-bas! Nous n'en jouissons qu'autant que le Christ le permet; 75 c'est lui-même qui protège nos os; il les tiens sous sa garde. Pourquoi craindrions-nous de les exposer au danger? Marchons donc de bon coeur, nous accomplissons la volonté de Dieu. Je récompenserai ceux qui 80 reviendront du combat, après s'y être signalés, et je prendrai sous ma protection les familles de ceux qui seront restés sur le champ de la gloire, combattant pour leur patrie." A ces mots, Louis prend son bouclier et sa lance; il marche avec joie, 85 espérant se venger dans le sang de ses ennemis. A peu de distance de là, il se trouve en présence des Normands. "Dieu soit loué, 90 s'écrie-t'il; nous avons ce que nous désirons". Il s'élance sur l'ennemi, entonnant un cantique sacré, que toute l'armée répète après lui. 95 Ces chants sacrés étant finis, le combat commence. L'ardeur impétueuse des Francs se peignait sur leurs joues enflammées. Le soldat tira une vengeance éclatante, 100 mais aucun ne se montra comme Louis; il fit briller cette valeur et ce grand courage qui ennoblissent le sang des Rois Francs. Ici il terrassait avec son épée, là il perçait de sa lance; 105 certainement il versa une boisson bien amère à ses ennemis, qu'il faisait tomber sous ses coups. Bénie soit la force du Seigneur! 110 C'est par elle que Louis est vainqueur. Rendons grâce à tous les Saints qui l'ont aidé dans le combat et dans la victoire. 115 Louis est un Roi heureux; sa gravité et sa prudence égalent sa valeur. Conservez-le, Seigneur, pendant de longues années dans les droits de la Majesté de son Trône! |
2. Combat entre Hildebrand et Halibrand. Poème épique qui évoque un épisode du temps d'Odoacre. Le récit fut repris par un Franc de l'époque carolingienne et de la région de Fulda, preuve que la poésie germanique ancienne était encore connue sous les Carolingiens. Le poème fut transcrit partiellement (ou la fin du texte a été détruite) par un clerc de l'abbaye sur des pages laissées blanches d'un manuscrit. Le roi de Vérone, Thidrikur, ne pouvant résister à Odoacre, se réfugie chez les Huns, auprès d'Attila. L'accompagne Hildebrand, qui laisse derrière lui son épouse, Ule, et son fils Halibrand et s'engage dans 30 ans d'aventures par terre et par mer. Odoacre étant mort, Thidrikur veut reprendre son royaume mais il fait qu'Hildebrand amène son fils Halibrand, devenu roi de Vérone, à revenir sous la bannière du roi légitime. Un combat s'ensuit entre le père et le fils (qui n'a pas reconnu ce dernier alors que celui-ci l'a reconnu à ses armes). Le père vainc, pardonne à son fils et ils rendent le royaume au roi (le texte de Fulda fut publié par les frères Grimm en 1812; texte en francique à gauche, traduction libre en français à droite; la numérotation, côté texte français, peut parfois être approximative)
1 Ih gihorta that seggen, that sih urhettun aelon nuotin Hildibraht enti Hathubrant untar heriuntuem, Suni fatar ungo; ire saro rihtun, Garutun se iro gutahhamun, gurtun sih iro suert ana, 5 Helidos, ubar ringa; do sie to dero hiltu ritum. Hiltibrahd gimahalta, heribrantes suni, her was heroro man, Febahes protoro, her fragen gistuont Fohem wortum: wer sin fater wari Fireo in folche, eddo weliches cnuosles du sis? 10 Ibu du mi aenan sages, ik mideo dre-wet, Chind in Chuninchriche, chud is min al irmindeot. Hadubraht gimahalta Hiltibrantes suno: dat sagetun mi Usera liuti alte anti frote, dea erhina warun, Dat Hiltibrant haetti min fater, ih heittu Hadubrant. 15 Forn her Ostar gihueit, floh her Otachres nid Hina miti Theotrich enti sinero degano filu; Her furlaet in lante luttila sitten Prut in bure; Barn unwahsan, Arbeolosa heraet, Ostar hina det, 20 Sid Detriche darba gistuontum, fatereres mines, Dat was so friuntlaos man, her was Otachre ummettirri, Degano dechisto, unti Deotriche darba gistontum: Her was eo folches at ente, imo was eo feheta ti leop, Chud was her chonnem mannum, ni wanin ih, iu lib habbe 25 Wittu irmingot, quand Hiltibraht, obana ab hevane, Dat tu neo danahalt mit sus sippan man dinc ni gileitos! Want her do ar arme wuntane bouga, Cheisuringu gitan, so imo seder chuning gap Huneo truhtin: dat ih dir it nu bi huldi gibu! 30 Hadubraht gimalta, Hiltibranted suno: Mit geru scal man geba infahan, Ort widar orte, du bist dir, alter Hun ummet, Spaher, spenis mi mit dinem wortum, Wilihuh di nu speru werpan, 35 Pist al so gialtert man, so du ewin inwit fortos; Dat sagetum mi sakolidante Westar ubar Wentilsaeo, dat man wic furnam, Tot is Hiltibraht Heribrantes suno. Hildibrant gimahalt Heribrantes suno: wel gisihy ik, 40 In dienem Hrustim, dat du hares heine werron goten, Dat du noh bi desemo riche reccheo ni wurti. Welaga, nu waltant Got, quad Hiltibrant, we wurt skihit! Ih walloto sumaro enti wintro sehstick urlante, Dar man mih eo scerita in folc sceotantero 45 So man mir at burc einigeru banun ni gifasta; Nu scal mih suasat chind suertu hauwan, Breton mit sinu billiu, eddo ih imo ti banin werdan. Doh maht du nu aodlicho, ibu dir din ellent aoc, In sus heremo man hrusti giwinnan; 50 Rauba bi hrahanen ibu du dar enic reht habes. Der si doh nu argosto, quand Hildibrant, Ostarliuto, Der dir nu wiges warne, nu dih es so wel lustit Gudea cimeinun niused emotti, Wer dar sih hiute dero hrel-zilo hrumen muotti, 55 Erdo dessero brunnono bedero waltan. Do laettun se aerist asckim scritan Scarpen scurim, dat in dem sciltim stont; Do stoptun tosamene, staimbort chludun, Hewun harmlicco huitte scilti 60 Unti im iro lintum luttilo wurtun 61 Giwigan, ni ti wambnum... (ici s'arrête le texte) |
1 J'ai ouï dire, d'après les traditions de nos pères, que Hiltibraht et Hatubrand, le père et son fils unique, se rencontrèrent un jour, sans se connaître et se provoquèrent au combat. 5 Alors on vit ces terribles guerriers mettre en ordre leur armure; ils se couvrirent de leurs cottes d'armes, ils attachèrent leurs épées à une boucle ronde; comme ils s'avançaient l'un contre l'autre sur leurs coursiers, Hiltibraht fils de Héribrand, ce guerrier d'un coeur si noble, si prudent, dit à Hathubraht: "Qui est ton père? A quelle race appartient-il, parmi les familles nobles de cette contrée? 10 Si tu me le dis, je te récompenserai avec magnificence; héros fameux dans le royaume des Huns, je te donnera une armure à triple fil. J'ai parcouru toute la terre, et je connais toutes les races nobles parmi les hommes." Hathubrant, fils de Hiltibrant, répondit: "J'ai appris des anciens qui sont déjà descendus dans la tombe, que mon père s'appelait Hiltibraht; mon nom est Hathubraht; 15 il s'en alla autrefois dans les contrées de l'Orient avec Théotrich et plusieurs autres chevaliers, fuyant la haine d'Otokar; il abandonna sa jeune épouse, son fils encore enfant, et ses armes sans maître pour les porter. Il a parcouru tout l'Orient. 20 Les malheurs de Dietrich mon cousin, ce prince abandonné de tout le monde, n'ayant fait qu'augmenter tous les jours, mon père était toujours à la tête des braves; son bonheur était de combattre; cependant, quelque redoutables que fussent ses armes, il ne voulait point attaquer Otokar; je ne crois pas qu'il soit encore en vie." 25 "Dieu tout-puissant qui habites les cieux! s'écria Hiltibraht, permettras-tu donc que ces deux guerriers, unis si étroitement par les liens du sang, en viennent aux mains l'un contre l'autre et qu'ils cherchent à s'ôter la vie!" En disant ces mots, il détache de son bras des bracelets de grand prix, qu'il avait reçus en présence du roi des Huns: "Tenez, dit-il, recevez-les; portez-les pour vous rappeler le souvenir d'un guerrier qui vous estime" 30 Hathubraht répondit: "C'est la lance à la main, pointe contre pointe, que l'on reçoit de pareils dons, vieux Hun! Tu ne mérites point de prendre place parmi les guerriers; tu n'es qu'un lâche espion, qui cherche à me tromper par l'apparence de tes discours; tiens, ma lance va t'atteindre dans le moment; 35 n'as-tu pas honte, dans un âge si avancé, d'employer d'aussi noirs artifices? Sache que des hommes qui faisaient voile à l'Ouest sur la mer des Wendes, m'ont apporté la nouvelle d'un combat sanglant, dans lequel mon père Hiltibraht, fils de Héribrant, était resté parmi les morts, et j'ai bien raison de croire qu'il n'existe plus". Hiltibraht, fils de Héribrant, répondit: "Je ne vois déjà 40 que trop bien à ton armure, que tu n'appartiens point à un maître de noble extraction et que, dans ces contrées, tu n'as encore signalé ton nom par aucun exploit. O Dieux qui régissez l'Univers! Quel malheur! Quelle destinée fatale m'attend! Voilà soixante étés, voilà soixante hivers que j'erre dans des contrées éloignées de ma patrie, toujours dans les combats; partout on me voyait à la tête des premiers guerriers; 45 jamais aucun homme de guerre n'a eu l'honneur de m'entraîner dans son fort, et de m'y jeter dans les fers; et aujourd'hui mon propre fils, mon fils chéri, doit lever l'épée contre moi! Il doit m'étendre par terre avec sa hache, ou je dois devenir son meurtrier! Jeune homme, si tu combats avec valeur, il peut arriver aisément, que tu enlèves l'armure d'un homme d'honneur et qu'après toi 50 tu traînes inhumainement son corps dans la poussière; fais-le donc si tu en as le droit. Cependant je serais le plus lâche de tout les hommes de l'Orient, si je cherchais à te détourner d'un combat que tu désires avec tant d'impatience. Braves compagnons d'armes, qui nous écoutez, vous jugerez dans votre courage, qui de nous deux peut se vanter aujourd'hui d'avoir su le mieux diriger ses traits, 55 et qui doit porter en triomphe l'armure de son adversaire!" Sur cela, leurs javelots pointus partent de leurs mains avec tant de force, qu'ils restent suspendus aux boucliers; ils s'élancent eux-mêmes l'un contre l'autre; leurs haches retentissent aux coups terribles dont ils frappent leurs boucliers; 60 leur armure paraît ébranlée, mais ils restent tous les deux fermes et inébranlables sur les pieds.... (ici s'arrête le texte) |