Les Nestoriens, chrétiens en Chine et groupe d'influence sous les Abassides

Le nestorianisme

Le nestorianisme est une hérésie chrétienne, apparue au Vème siècle du fait de l'effort qui était fait alors d'expliquer et de comprendre la nature du Christ. Le nestorianisme soutenait que Jésus avait deux natures, l'une en tant que Fils de Dieu et l'autre une nature humaine seulement, ce qui, de plus, menait à remettre en cause l'énoncé que Marie était "mère de Dieu". Ces vues étaient défendues par Nestorius, archevêque de Contantinople et il fut condamné par le concile d'Ephèse en 431. La condamnation entraîna un schisme: les partisans de Nestorius, qui faisaient essentiellement partie du monde parlant le syriaque, devinrent une Eglise indépendante, leur évêché étant situé à Ctésiphon (ou Séleucie) -aujourd'hui en Irak. Eux-mêmes s'appelaient "Chaldéens" alors que leurs ennemis de l'Ouest les appelaient "Nestoriens". Les Sassanides, cette dynastie qui régnait en Perse et une partie du Moyen-Orient entre 226 et 651, étaient, par ailleurs, constamment en guerre avec Byzance et ils virent dans le schisme une façon de soutenir leurs luttes, dans leurs relations avec leurs sujets chrétiens; ils prirent donc le parti des Nestoriens et ils expulsèrent les chrétiens pro-byzantins. La doctrine elle-même fut développée et, en un certain sens, adoucie, par un évêque nestorien, Babai le Grand, à la fin du VIème siècle. Les Nestoriens convertirent aussi les Juifs de la région, qui étaient les Juifs qui n'étaient pas repartis en Israël après les déportations en Assyrie et en Babylonie et, d'une façon générale, les Nestoriens étaient plus portés vers les Juifs que les autres Chrétiens: leurs prêtres et leurs savants, dans la Perse sassanide où se trouvaient les grandes écoles talmudiques juives, entretenaient avec eux d’excellentes relations. S’inspirant de leur exemple, par exemple, les Juifs se décidèrent à étudier la Bible plus attentivement et les Nestoriens sont à l'origine du travail de rénovation de l'hébreu de la Torah via un système de ponctuation

Les Nestoriens en Chine sous les Tang

Sous la forme de leurs missionnaires mais aussi de leurs marchands, les Nestoriens, zélés, entreprirent d'exporter leur foi. Ils parvinrent en Inde, en Asie Centrale et en Extrême-Orient au cours des VIIème et VIIIème siècles. La Chine fut atteinte vers 635, la même année que la Mongolie, puis le nestorianisme continua d'avancer jusqu'en Corée et peut-être au Japon. Certains pensent que la Chine aurait déjà été atteinte par St Thomas (qui aurait essentiellement travaillé en Inde) ou par St Barthélémy et un écrivain chrétien, Arnobe, au IIIème siècle, mentionne les Chinois -les Sères- comme faisant partie des peuples orientaux christianisés alors. Certains pensent, par ailleurs, qu'un évêché aurait déjà été fondé en Chine en 411, à partir de l'Eglise byzantine. Les Nestoriens de Perse avaient accueilli les conquérants arabes en libérateurs et ce fut l'époque des missions nestoriennes en Asie ainsi en Chine où, sous les empereurs T'ai Tsung (627-649) et Kao Tsung (650-683) qui accordent des concessions, des monastères et l'accès aux fonctions publiques; vers la fin du VIIIème siècle, un nestorien, Yask-bozèd, mandarin, sera en charge du Nord de l'empire et inspecteur des examens impériaux. Les Nestoriens firent aussi des convertis en Inde et en Asie centrale. Les Monophysites -ou Jacobites- d'autres hérétiques d'Orient (ils affirmaient, eux, une nature unique du Christ) ont également missionarisé en Chine à la même époque mais leur influence fut beaucoup moindre. Le nestorianisme fut bien reçu en Chine par les Tang (618-en déclin à partir de 860). Le catholicisme, tel que présenté par les Nestoriens, était appelé "Religion lumineuse" par les Chinois et les communautés et monastères nestoriens se développèrent rapidement. Ce bon accueil faisait partie de la politique générale des Tang de tolérance et d'encouragement aux religions étrangères (ainsi, comme le Nestorianisme, se développèrent l'Islam, le Zoroastrisme ou les religions turques). Pour ce qui est des Nestoriens, un de leurs évêques, Alopen, s'installa en Chine à partir de 635 et l'empereur le chargea de traduire la doctrine nestorienne en chinois. Les Nestoriens, surtout connus pour leur habileté en matière médicale et chirurgicale, restaient cependant, comme les autres religions, fortement attachés aux communautés de marchands. Ils furent, par ailleurs, du fait de leur doctrines, décrits comme les "Protestants de l'Asie" de l'époque. L'apogée des Nestoriens en Chine correspondit donc à la période carolingienne. Cette période de tolérance se termina au milieu du IXème siècle du fait du déclin de la dynastie Tang, menant à la victoire des opposants confucéens et taoïstes à la tolérance. Les Nestoriens, alors, avaient tendu à succomber à des pratiques syncrétistes. Le travail missionnaire nestorien continua cependant dans la région, y compris en Chine, ainsi que dans des tribus du Nord (Ouïghours, Turcs, Mongols). A la même époque qu'ils s'étaient installés en Chine, les Nestoriens étaient également devenus puissants au Tibet (VIIIème siècle) y étant arrivés depuis le VIème et le VIIème siècle

Les Nestoriens sous le caliphat arabe

Pendant ce temps, l'empire Sassanide avait changé de mains: les conquérants arabes l'avaient finalement emporté en 637 et ils étaient devenus les nouveaux maîtres. Certains pensent que Mahomet, le prophète, avait eu des contacts avec les Nestoriens au cours des voyages qu'il avait faits en Syrie en accompagnant son oncle et ses caravanes. Il y aurait rencontré Bahira, un moine, qui aurait eu la prémonition que le garçon deviendrait un prophète. Il semble aussi que les passages du Coran qui se réfèrent à des données chrétiennes doivent aussi à ces voyages. Il semble aussi que les génuflexions de la prière arabe présentent des similarités avec la façon de prier des Nestoriens pendant le Carême. Après la conquête arabe, les Nestoriens furent, parmi les chrétiens de la région -Monophysites, Byzantins- relativement favorisés par les nouveaux maîtres. Mais le sort de tous les chrétiens du Moyen-Orient s'aggrava vers l'an 700. Les Nestoriens, sous les Abassides -à l'époque carolingienne donc- devinrent un pouvoir important, constituant une part importante des fonctionnaires de la dynastie ou voyant leurs médecins accéder à la cour. Les Abassides, en effet, se fondaient sur de nombreuses communautés de la région, ce qui, sans nul doute, mena à la renaissance culturelle de Bagdad. Les Gueonim juifs firent partie aussi de ces communautés

Les Nestoriens, ainsi, semble bien être un autre groupe par lequel la connaissance de différents peuples, de différentes connaissances et arts pourrait avoir trouvé son chemin jusqu'aux frontières des mondes carolingien et byzantin. Ces chemins des rencontres entre peuples ne semblent pas avoir été sans dangers, par ailleurs. Il est possible que, par exemple, dans l'Espagne sous domination arabe, des contacts trop relâchés entre les communautés ait permis la sortie de documents qu'on appellerait aujourd'hui "top secret": ainsi, l'historien et géographe Al-Masudi, au Xème siècle, en Egypte, trouva une copie d'une liste des rois francs, de Clovis à Louis IV, écrite par un évêque de "al-Andalus"