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La Vita Karoli d'Eginhard

Préface

Depuis que j'ai entrepris de raconter la vie publique et privée, et les faits de mon seigneur et quasi-père adoptif, le très haut et très justement renommé roi Charles, je me suis efforcé de condenser tout ceci sous une forme aussi brève que possible. J'ai veillé à n'omettre aucun fait qui serait venu à ma connaissance alors que dans le même mouvement, j'ai veillé à ne pas offenser par trop de détails ces esprits contemporains qui méprisent tout ce qui est moderne. Si tant est d'ailleurs, que l'on puisse éviter d'offenser des hommes qui semblent rejeter dans le même mouvement les chefs-d'oeuvre de l'Antiquité et les travaux des écrivains les plus érudits et les plus éclairés. De nombreuses de ces personnes sont effectivement dévouées à une vie de loisir et de littérature et, même si elles pensent que l'on ne devrait pas laisser de côté ce qui concerne la génération présente, qu'elles ne considérent pas tout ce qui se fait aujourd'hui indigne d'être mentionné ou juste bon au silence et à l'oubli, elles se sentent cependant plus attirées par le désir d'immortalité qui s'attache à célébrer les faits glorieux des temps anciens. Et ces gens aiment mieux ceci que de rien écrire et de priver la postérité de la mémoire de leur nom
Quoi qu'il en soit, je vois pas cependant ce qui pourrait me retenir d'entreprendre cette tâche. D'autant que personne mieux que moi peut écrire sur des événements auxquels j'ai pris part, sur des faits dont j'ai eu une connaissance personnelle, une connaissance "de visu" si l'on veut. De plus, je ne sais si quelqu'un d'autre ou pas a déjà entrepris cette tâche. Dans tous les cas, je préfère mettre cette histoire par écrit, et même la faire passer à la postérité concurremment avec d'autres, plutôt que laisser sombrer dans l'obscurité de l'oubli la très glorieuse vie de ce très excellent roi, le plus grand des princes de son temps, et ses actes très illustres, que les hommes des temps suivants auront du mal à imiter.
De plus, d'autres raisons, qui d'après moi sont presque obligatoires et très suffisantes, m'amènent à entreprendre cette oeuvre. Je veux dire le soin que le roi Charles a eu de moi lorsque j'étais enfant, ainsi que l'amitié constante que j'ai entretenue avec lui et ses enfants une fois que je me fus installé à la cour. C'est ainsi que le roi m'est devenu cher et que je suis grandement devenu son débiteur, sur beaucoup de plans. Aussi, je serais réellement peu reconnaissant des bienfaits qui me furent conférés si je taisais les faits très glorieux et très illustres d'un homme à qui je dois beaucoup et si je laissais sa vie manquer de l'éloge et de l'hommage écrit qu'elle mérite, comme s'il n'avait jamais vécu. Je semblerais à juste titre ingrat et on pourrait à juste titre me considérer tel. Tout cela même si mes aptitudes à l'écriture sont faibles, insuffisantes, voire proches de rien, et semblent bien peu adaptées à écrire sur une vie et la mettre en avant, une vie qui mettrait à l'épreuve même l'éloquence de Cicéron. Aussi, voici ce livre. Il contient l'histoire d'un homme très grand et très remarquable. On ne devra s'émerveiller de rien d'autre si ce n'est des grands faits du roi, et du fait que moi, un Barbare, peu versé dans l'usage du langage de Rome, me pense capable d'écrire avec grâce et efficacité en latin et pousse même la présomption jusqu'à écarter le sentiment dont on dit que Cicéron l'exprima dans le premier livre des Disputes Tusculanes, à propos des auteurs latins. Que "c'est un abus excessif à la fois du temps et de la littérature, qu'un homme s'engage à mettre ses pensées par écrit, alors qu'il n'a la capacité ni de les mettre en ordre ni de les expliquer, ou qu'il attire les lecteurs par quelque artifice de style seulement". Un tel jugement aurait pu suffire à me détourner de me mettre à l'ouvrage. J'ai cependant pensé qu'il était préférable que je risque le jugement du monde, que je mette à l'épreuve mon peu de talent pour l 'écriture plutôt que de manquer d'égards, en prenant soin de me ménager, à la mémoire d'un si grand homme

La vie de l'empereur Charles

1. Les Mérovingiens
On admet communément que les Mérovingiens, cette famille dans laquelle les Francs avaient pris l'habitude de choisir leurs rois, a duré jusqu'à l'époque de Childéric qui fut déposé, rasé et jeté dans un cloître sur ordre d'Etienne, Pontife Romain. Cependant, malgré cette fin officielle, la race mérovingienne avait depuis longtemps été vidée de toute force vitale et elle n'existait encore que parce qu'elle portait l'écorce vide de la royauté. Le pouvoir réel et l'autorité, dans le royaume, se trouvaient en fait dans les mains du principal officier de la couronne, celui que l'on appelait le Maire du Palais. C'est lui qui menait réellement les affaires. Il ne restait au roi en titre rien d'autre que de se contenter de son titre de roi, de sa longue chevelure, et de sa longue barbe. C'est lui qui recevait les envoyés de différents partis, c'est lui qui les congédiaient, certes, mais malgré cette apparence de responsabilité politique, les mots qu'il employait alors lui avaient été en fait soufflés voire imposés. Il ne pouvait prétendre à rien qui lui fût propre sinon à ce vain titre de roi et aux revenus incertains que le Maire du Palais lui allouait à discrétion. Il ne disposait que d'une propriété qui ne lui rapportait qu'un très faible revenu. Une résidence était attachée à cette terre et un petit nombre de serviteurs y servaient, ce qui était suffisant pour remplir les offices nécessaires. Lorsqu'il devait se déplacer le roi mérovingien utilisait un chariot tiré par des boeufs qu'un homme, à la manière des paysans, conduisait. C'est ainsi que le roi se rendait au palais ou à l'assemblée générale du peuple qui se réunissait une fois l'an pour le bien commun du royaume; et c'est ainsi qu'il revenait à sa demeure. C'était le Maire du Palais qui se chargeait du gouvernement et de tout ce qui devait être planifié et exécuté dans le royaume et à l'extérieur

2. Les ancêtres de Charlemagne
C'est Pépin, le père de Charles, qui, à l'époque de la déposition du roi Childéric, tenait cet office de Maire du Palais. Et l'on pouvait presque dire qu'il le tenait de manière héréditaire. C'était Charles, le père de Pépin qui avait reçu la charge de son propre père, un autre Pépin, et Charles avait exercé la fonction avec distinction. C'était ce Charles qui avait écrasé les potentats qui revendiquaient de gouverner la terre des Francs comme si elle leur avait appartenu et qui, dans deux grandes batailles, avait infligé une déroute complète aux Sarrasins qui essayaient de conquérir la Gaule et les avait obligés à retourner en Espagne. Ces deux grandes batailles avaient eu lieu, l'une en Aquitaine, près de la ville de Poitiers, l'autre sur la Berre, près de Narbonne. L'honneur de la Mairie du Palais était habituellement conféré par les Francs aux hommes que distinguaient leur glorieuse naissance ou leurs amples propriétés foncières. Pendant quelques années Pépin, le père du roi Charles, avait, à ce qu'il semble, sous le règne du roi Childéric, partagé paisiblement avec son frère Carloman cette charge qu'il tenait de son père et de son grand-père. Puis Carloman, pour des raisons inconnues, renonça aux charges qu'imposait une couronne de ce monde et se retira à Rome. Là il se défit de son habit séculier pour la robe des moines et il construisit un monastère sur le mont Oreste, près de l'église de St Sylvestre. Il y passa en paix de nombreuses années dans la réclusion qu'il recherchait, accompagné de quelques autres personnes qui avaient le même but. Cependant, chaque fois que des Francs de haute renommée faisaient un pélerinage à Rome selon les voeux qu'ils avaient faits, ils tenaient absolument à visiter Carloman pour le saluer en tant que leur ancien seigneur. Le mont Oreste se trouvait sur leur route. Aussi le calme auquel Carloman tenait tant était dérangé par ces visites fréquentes. Il fut forcé de changer de domicile. Il abandonna la montagne et se retira au monastère de St Benoît, sur le Mont Cassin, dans la province du Samnium et il y passa le reste de sa vie dans l'exercice de la religion

3. L'accession au pouvoir de Charlemagne
Pendant ce temps, Pépin avait été élevé du rang de Maire du Palais à celui de roi par décret du Pontife Romain. Il règna alors seul sur les Francs pendant 15 ans ou plus. C'est alors, à la fin de la guerre d'Aquitaine, qu'il mourut de dropsie à Paris. Pépin avait mené cette guerre contre Guillaume, duc d'Aquitaine, pendant neuf années de suite. Pépin laissait deux fils, Charles et Carloman, à qui, par grâce divine, la succession échut. Les Francs, dans une assemblée générale, les firent tous deux rois à la condition qu'ils partagent également entre eux le royaume. Charles devait prendre la part de son père Pépin, et Carloman la part que Carloman, leur oncle, avait gouvernée. Charles et Carloman acceptèrent cette condition et chacun prit possession de la part qui, selon l'accord, lui revenait. Cependant la paix entre les deux frères ne fut maintenue qu'avec grandes difficultés car nombreux étaient les Francs du parti de Carloman qui continuaient à essayer de remettre en cause la bonne entente qui règnait entre eux. Certains, même, complotaient pour que les deux frères entrassent en guerre l'un contre l'autre. Ces projets, cependant, se révélèrent plus imaginaires que réels car, à la mort de Carloman, sa veuve s'enfuit en Italie avec ses enfants et les principaux partisans de celui-ci, et, sans raison, malgré le frère de son mari, se plaça, elle et ses enfants, sous la protection de Didier, roi des Lombards. Carloman était mort de maladie après avoir régné deux ans en commun avec son frère. A sa mort, Charles fut unanimement désigné roi des Francs

4. Plan de l'ouvrage
Je serais téméraire d'envisager d'écrire sur la naissance du roi Charles, son enfance ou ses jeunes années, car rien ne semble jamais avoir été écrit sur le sujet ni personne ne vit encore aujourd'hui qui pourrait donner des informations sur ces sujets. Aussi, ces années resteront inconnues et je passerai directement au caractère de Charles, ses actions et aux autres faits de son existence qui semblent dignes d'être dits et mis en avant. Après avoir d'abord fait le tableau des actions du roi dans le royaume franc et au-dehors, je poursuivrai par son caractère et ses occupations. Je terminerai ensuite par comment il gouverna et par sa mort, n'omettant rien qui ne soit digne d'être connu ou qu'il fût nécessaire de connaître

5. La guerre d'Aquitaine
La première entreprise du roi en matière militaire fut la guerre d'Aquitaine, que son père avait commencée mais n'avait pas menée à terme. C'est parce que Charles pensait qu'il pouvait la mener à bien facilement qu'il l'entreprit. Son frère était alors encore en vie et il lui demanda de l'aider. Une fois la campagne lancée, Charles la mena avec la plus grande des vigueurs bien que Carloman n'ait pas apporté l'aide à laquelle il s'était engagé. Charles, alors, ne renonça pas ni ne recula par rapport à cette tâche qu'il s'était finalement lui-même imposée et, finalement, par sa patience et sa résolution, il parvint entièrement à ses buts. Il obligea Hunold, qui avait essayé de saisir l'Aquitaine après la mort de Waifar -ce qui avait alors relancé la guerre qui était alors presque terminée, à abandonner le pays et à fuir en Gasgogne. Même là, Charles ne lui laissa aucun repos. Il traversa la Garonne, construisit le château de Fronsac, et il envoya des ambassadeurs à Lupus, le duc de Gasgogne pour lui demander qu'il remît le fugitif, menaçant de venir le prendre de force dans le cas ou le duc ne se rendrait pas rapidement à cette demande. Lupus choisit alors la voie la plus sage qui fut, non seulement de livrer Hunold, mais de se soumettre lui-même, ainsi que la province sur laquelle il règnait, à Charles

6. La guerre contre les Lombards
Après avoir terminé la guerre d'Aquitaine et avoir réglé les affaires dans cette province, et alors que Carloman avait quitté cette vie entre-temps, les prières et les supplications d'Hadrien, pape, évêque de Rome, amenèrent le roi Charles à mener la guerre contre les Lombards. Déjà son père, Pépin, s'était attelé à la tâche à la demande du pape Etienne, non sans grandes difficultés d'ailleurs, car certains des Francs les plus proéminents dont il prenait habituellement le conseil s'étaient véhémentement opposés à ce projet, au point de déclarer ouvertement qu'ils abandonneraient le roi et rentreraient chez eux. Le roi Pépin n'en avait pas moins engagé la guerre contre le roi Astolf et il l'avait rapidement menée. Maintenant Charles semblait avoir des raisons similaires voire entièrement identiques à celles de son père de déclarer la guerre. La guerre cependant fut différente de la campagne qu'avait menée Pépin dans ses difficultés comme dans son issue. Pépin, pour se garantir par des sûretés, après avoir assiégé quelques jours le roi Astolf dans Pavie, l'avait forcé à donner des otages, à rendre aux Romains les villes et les châteaux qu'il avait pris et à faire serment qu'il n'essaierait plus de s'en saisir à l'avenir. Charles, par contre, une fois la guerre déclarée, ne cessa les activités qu'après avoir épuisé le roi Didier par un long siège et qu'après l'avoir forcé à se rendre à discrétion. Il obligea également Adalgis, le fils de Didier, qui était le dernier espoir des Lombards, à quitter non seulement le royaume Lombard mais même l'Italie. Didier fut obligé de rendre aux Romains tout ce qu'ils avaient perdu. Charles vainquit également Hruodgaus, le duc de Frioul, qui complotait de faire une révolution, et il soumit finalement toute l'Italie, qu'il donna en royaume à son fils Pépin
Ne serait-ce que le but que je me suis donné dans cet ouvrage est de raconter la vie du roi plutôt que les anecdotes des guerres qu'il mena, j'aurais pu raconter à ce point le difficile passage des Alpes, les difficultés que les Francs durent supporter à escalader ces chaînes de montagnes où nul chemin n'existe, et les falaises qui culminent jusqu'au ciel et les pics déchirés. Qu'il suffise ici de dire que la guerre contre les Lombards se termina avec l'assujettissement de l'Italie, le banissement à vie du roi Didier, l'expulsion de son fils Adalgis d'Italie et que le roi Charles rendit à Hadrien, le chef de l'église de Rome, les conquêtes que le roi des Lombards avaient faites

7. La guerre contre les Saxons
Une fois terminée la guerre en Italie, la guerre contre les Saxons -qui, jusqu'alors semblait n'avoir été qu'assoupie- fut reprise. Aucune guerre jamais entreprise par les Francs ne le fut avec autant de durée, de volonté de faire la guerre, avec autant de coût ni autant de peine. Les Saxons, en effet, comme presque toutes les tribus de Germanie, étaient un peuple féroce. Ils s'adonnaient à l'adoration des démons, ils étaient hostiles à notre religion, et ils ne considéraient pas comme déshonorant de transgresser et de violer toute loi quelle qu'elle soit, humaine ou divine. Ce qui fait que, quotidiennement, surgissaient des évènements qui constituaient autant d'atteinte à la paix conclue. Sauf en quelques lieux, où de vastes forêts ou des chaînes montagneuses déterminaient une frontière certaine, la ligne entre nous et les Saxons, pour l'essentiel, passait la plupart du temps en pays ouvert, ce qui fait qu'il n'y avait aucune limite, des deux côtés, aux meurtres, aux vols et aux incendies volontaires. Les Francs devinrent si amers de l'attitude des Saxons qu'ils finirent par décider de ne plus seulement mener des représailles mais d'entrer dans une véritable guerre avec eux. C'est ainsi que la guerre commença. Elle dura, avec une grande furie, pendant 33 années successives, avec cependant plus de désagréments pour les Saxons que pour les Francs. Sans le manque de respect de la parole donnée des Saxons, elle aurait sans doute pu se terminer plus rapidement. On peut difficilement dire combien de fois les Saxons furent vaincus, et combien de fois ils se soumirent humblement au roi en apparence, promettant de faire ce qu'on leur demandait, livrant les otages et recevant les officiers qui leur étaient envoyés. Ils furent quelquefois même à ce point affaiblis et réduits qu'ils promirent de renoncer au culte des démons et d'embrasser le catholicisme. Mais à chaque fois, tous ces accords furent aussi promptement violés qu'ils avaient été promptement acceptés. On se demandait s'il était plus facile pour eux de conclure les accords que de ne pas les respecter. Il ne se passa jamais plus d'une année, une fois la guerre déclarée, sans que l'on assistât à de tels revirements de leur part. Mais le roi ne supporta pas que ses hautes vues et sa résolution -il restait ferme dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, fussent affaiblies par ces inconstances, ou d'être détourné de la tâche qu'il avait entreprise. Au contraire, chaque fois, il ne permit pas que cette mauvaise foi restât impunie. Soit il reprenait la guerrre en personne, soit il envoyait ses comtes avec une armée pour imposer vengeance et faire respecter ce qui était exigé. Enfin, une fois qu'il eût conquis et soumis quiconque avait opposé une résistance, il prit dix mille des Saxons qui vivaient sur les bords de l'Elbe et les installa, avec leurs femmes et leurs enfants, dans différents endroits, ça et là, en Gaule et en Germanie. La guerre qui avait duré pendant de si longues années se terminait enfin par l'acceptation par les Saxons des termes que leur offrait le roi, à savoir le renoncement à leurs coutumes religieuses nationales et à l'adoration des démons, l'acceptation des sacrements de la foi et de la religion chrétienne, et l'union avec les Francs pour ne former qu'un seul peuple

8. Suite de la guerre contre les Saxons
Charles même ne combattit que dans deux batailles décisives au cours de cette guerre. L'une, d'ailleurs, sur le mont Osning, à un endroit appelé Detmold, fut une bataille longue ainsi que sur la rive de la Hase. Ces deux batailles furent livrées dans l'espace d'un peu plus d'un mois. La déroute et la ruine des Saxons furent telles alors qu'ils ne s'aventurèrent plus jamais à prendre l'offensive ou à résister aux attaques du roi, sauf dans les cas où ils se sentaient protégés du fait qu'ils se trouvaient sur une forte position. Un grand nombre de la noblesse franque autant que saxonne, des hommes occupant les plus hauts postes des honneurs, périt durant cette longue guerre qui ne s'acheva qu'au terme de 32 ans. Durant ce temps, de nombreuses et cruelles guerres furent déclarées aux Francs. Elles furent menées avec tant de savoir-faire par le roi que l'on peut raisonnablement se demander si elles sont à mettre au compte de la valeur de Charles ou de sa bonne fortune. La guerre contre les Saxons commença deux ans avant la guerre d'Italie. Mais, bien qu'elle se déroulât sans interruption, cela n'empêcha pas que ce qui se passait ailleurs continuât ni qu'il y eût réduction de défis égaux en difficulté. Le roi, qui surpassait tous les princes du temps en sagesse et en grandeur d'âme, ne permit pas que les difficultés le dissuadassent ni que le danger ne le décourageât de tout ce qui devait être entrepris ou mené à bien. Le roi, en effet, s'était entraîné à supporter et endurer tous les évènements, sans céder à l'adversité et sans faire confiance, dans les moments de prospérité, aux faveurs trompeuses de la fortune

9. L'expédition d'Espagne
Dans le milieu de cette forte lutte, presqu'ininterrompue, contre les Saxons, le roi couvrit la frontière d'Espagne de garnisons aux points appropriés, et il franchit les Pyrénées, entrant dans le pays à la tête de toutes les forces qu'il avait pu rassembler. Toutes les villes et les châteaux attaqués se rendirent et, jusqu'au moment du retour, aucune perte ne fut subie. C'est sur la route du retour, dans les montagnes, qu'il expérimenta amèrement la traîtrise des Basques. La région est propice aux embuscades du fait des fortes forêts qui s'y trouvent. L'étroitesse de la route avait fait que l'armée avait adopté la ligne de marche longue. C'est alors que les Gascons, qui s'étaient placés en embuscade au sommet d'une très haute montagne, attaquèrent l'arrière du train des bagages et l'arrière-garde qui en avait la charge. Les Francs furent violemment précipités jusqu'au fond de la vallée. Dans la lutte qui s'ensuivit les Basques les exterminèrent jusqu'au dernier, puis ils pillèrent les bagages et s'éparpillèrent dans toutes les directions, à toute allure, profitant du couvert de la nuit qui approchait. La légéreté de leur armure et la nature du terrain avaient placé les Basques en bonne position, alors que les Francs s'étaient trouvés désavantagés sur tous les plans, du fait du poids de leur armure et du caractère inégal du sol. Eggihard, l'intendant du roi, Anselme, le comte palatin, et Roland, gouverneur de la Marche de Bretagne, ainsi que beaucoup d'autres, tombèrent dans cet engagement. Ce malheur ne put être immédiatement vengé car l'ennemi s'était si largement dispersé après avoir réalisé son plan que pas le moindre indice ne put être trouvé de là où ils s'étaient enfuis

10. Soumission des Bretons et des Bénéventins
Charles soumit aussi les Bretons, qui vivaient sur le bord de la mer, dans la partie la plus à l'ouest de la Gaule. Lorsqu'ils refusèrent de lui obéir, il envoya une armée contre eux et les obligea à fournir des otages et à promettre d'obéir à ses ordres. Ensuite, il entra en Italie en personne, à la tête de l'armée, et marcha de Rome à Capoue, une cité en Campanie, où il établit son camp. Il menaça les Bénéventins d'hostilités à moins qu'ils ne se soumettent. Aragis, leur duc, rusa. Il envoya alors au roi ses deux fils, Rumold et Grimold, ainsi qu'une grande somme d'argent, le priant d'accepter ses fils comme otages et promettant que lui et son peuple obéiraient à sa volonté. Par contre, Aragis lui-même refusait de se présenter en personne. Le roi prit alors en considération le bien du peuple plutôt que l'obstination du duc et il accepta les otages, n'obligeant pas, par ailleurs, le duc à se présenter en personne à lui en considération du beau présent que le duc avait envoyé. Il ne retint finalement que le plus jeune des fils et renvoya l'aîné à son père, puis il retourna à Rome, laissant des émissaires exiger serment d'allégeance d'Aragis et le faire prêter par le peuple. Le roi resta à Rome plusieurs jours de façon à faire ses dévotions aux lieux saints, puis il rentra en Gaule

11. Tassilon et la campagne de Bavière
C'est à cette époque que, soudainement, se déclencha la guerre de Bavière. Elle prit rapidement fin. Elle fut due à l'arrogance et à l'extravagance du duc Tassilon. Son épouse, une fille du roi Didier, voulait venger le bannissement de son père par le biais de son mari. Aussi, elle le convainquit de passer un traité avec les Huns, qui étaient les voisins des Bavarois à l'Est, et, de non seulement ne pas obéir aux ordres du roi mais de lui déclarer la guerre. Les hautes vues de Charles ne purent pas réduire l'insubordination de Tassilon car il lui semblait que le duc dépassait toutes les bornes. Aussi, il convoqua immédiatement l'armée de toutes les parties du royaume en vue d'une campagne en Bavière et il apparut en personne, à la tête d'une grande armée, sur le Lech, qui forme la frontière entre les Bavarois et les Alamans. Après avoir établi son camp sur les rives du fleuve, il décida de tester le duc Tassilon avant d'envahir la province. Il lui envoya une ambassade. Tassilon en vint rapidement à se rendre compte qu'il n'allait pas de son intérêt ni de celui de son peuple de persister et il se rendit au roi, donna les otages demandés -dont son propre fils Theodo- et il promit par serment de ne pas prêter oreille à quiconque voudrait le détourner de son allégeance au roi. Ainsi cette guerre, qui se résolva de façon courtoise et ne fut pas cruelle, se termina rapidement. Tassilon, cependant, fut ensuite convoqué auprès du roi, et on ne permit pas qu'il s'en retournât. Le gouvernement de la province qu'il avait eu en charge ne fut plus confié à un duc mais à des comtes

12. La guerre contre les Slaves
Après que ces soulèvements eussent été ainsi apaisés, la guerre fut déclarée aux Slaves. Les Slaves sont communément connus chez nous sous le nom de Wilzi. Proprement, dans leur propre langue, ils s'appellent les Welatabiens. Les Saxons servirent d'auxiliaires pendant cette campagne. Ils faisaient partie d'autres tribus qui avaient rejoint l'étendard du roi sur demande mais leur obéissance manquait de sincérité et de dévotion. La guerre fut déclarée parce que les Slaves ne cessaient pas de harceler les Abodrites, de vieux alliés des Francs, par des raids continuels, en dépit de toutes les interdictions qui leur en avaient été faites. Un golfe, de longueur inconnue, mais qui n'est jamais plus large que 100 miles, et en de nombreux endroits plus étroit, s'étend vers l'Est depuis l'Océan occidental. De nombreuses tribus sont établies sur ses côtes: les Danois et les Suèdes, que l'on nomme Normands, se trouvent sur la rive nord et les îles avoisinantes; par contre la côte Sud est habitée par les Slava et les Aïsti; diverses autres tribus se rencontraient également. Les Welatabiens, contre lesquels le roi menait maintenant la guerre, étaient la principales d'entre elles. En une seule campagne, qu'il mena personnellement, il les écrasa et les soumit d'une telle manière qu'ils ne jugèrent pas dès lors sage de refuser obéissance à ses ordres

13. La guerre contre les Huns
La guerre contre les Avars, ou Huns, vint ensuite, et fut, à l'exception de la guerre contre les Saxons, la plus grande guerre menée par le roi. Il s'y mit avec plus d'humeur qu'à toutes les autres guerres et il fit de plus grandes préparations que lors de celles-ci. Il conduisit une campagne en personne en Pannonie, que les Huns contrôlaient alors. Il confia toutes les opérations suivantes à son fils Pépin ainsi qu'aux gouverneurs des provinces, aux comtes même, et aux lieutenants. Bien qu'ils menèrent la guerre avec la plus grande énergie, elle ne fut terminée qu'après 7 ans seulement. La dépopulation à l'extrême de la Pannonie, le site du palais du Khan qui est maintenant un désert et où pas une trace d'habitation humaine n'est visible, portent témoignage de combien de batailles furent livrées pendant ces années, et de combien de sang fut versé. L'ensemble de la noblesse des Huns périt dans cette lutte, et toute sa gloire avec elle. Tout l'argent et le trésor amassés pendant des années furent pris, et pas une guerre, de mémoire d'homme, dans laquelle les Francs furent jamais engagés, ne leur apporta autant de richesses et autant de butin. Jusqu'alors les Huns avaient passé pour un peuple pauvre mais on trouva tellement d'or et d'argent au palais du Khan, et tant de dépouilles de valeur furent prises au cours de la lutte, que l'on peut penser avec justesse que les Francs prirent à raison des Huns ce que les Huns avait précédemment injustement pris des autres nations. Deux seulement des chefs des Francs tombèrent pendant cette guerre: Eric, duc de Frioul, qui fut tué à Tarsatch, une ville sur la côte de Liburnie. Sa mort fut due à la trahison des habitants. Et Gérold, gouverneur de Bavière, qui trouva la mort en Pannonie, où il fut tué par une main inconnue, ainsi que deux hommes qui l'accompagnaient, alors qu'ils préparait ses forces pour une bataille contre les Huns. Il chevauchait le long des lignes pour encourager ses hommes. A part cela, cette guerre ne connut presque pas de pertes en ce qui concerne les Francs et elle se termina de façon très satisfaisante, bien que du fait de son ampleur, elle dura longtemps

14. La guerre contre les Danois
La fin de la guerre contre les Saxons se termina d'autant plus avec succès que la lutte avait été longue. Les guerres de Bohême et de Linonie qui éclatèrent ensuite ne purent pas être longues. Elles furent toutes les deux rapidement menées par Charles, le fils du roi. La dernière de ces guerres fut celle qui fut déclarée contre les Normands appelés Danois. Ils avaient commencé leur carrière comme pirates, puis ils s'étaient affairés, avec leur grande flotte, à dévaster les côtes de Gaule et de Germanie. Leur roi Godfred était si gonflé de vaines aspirations qu'il espérait prendre le contrôle de toute la Germanie et qu'il considérait la Saxe et la Frise comme ses provinces. Il avait déjà soumis ses voisins les Abodrites et les avait transformés en tributaires. Il se vantait d'apparaître bientôt avec une grande armée devant Aix-la-Chapelle, là où le roi tenait sa cour. On accorda quelque crédit à ses propos, pour creux qu'ils aient été, et on pense qu'il aurait tenté quelque chose de la sorte s'il n'en avait pas été empêché par une mort précoce. Il fut assassiné par l'un de ses propres gardes du corps. Ce qui mit fin à la fois à sa vie et à la guerre qu'il avait commencée

15. Les conquêtes de Charlemagne
Ainsi furent les guerres, très savamment préparées et victorieusement menées, que ce roi puissant mena pendant les 47 ans de son règne. Il augmenta de façon si importante le royaume franc -qui était déjà grand et fort lorsqu'il le reçut de son père Pépin- que plus du double du territoire existant alors y fut ajouté. L'autorité des Francs était jusque là confinée à la partie de la Gaule qui se trouve entre le Rhin et la Loire et entre l'Océan et la mer Baléare, à la partie de la Germanie habitées par ceux que l'on appelle les Francs de l'Est et qui est délimitée par la Saxe et le Danube, le Rhin et la Saale -ce cours d'eau sépare les Thuringiens des Sorabes, et aux pays des Alamans et des Bavarois. Par les guerres ci-dessus mentionnées, ce fut d'abord l'Aquitaine, la Gascogne et toute la région des Pyrénées jusqu'à l'Ebre qui furent rendues tributaires. L'Ebre naît dans la terre de Navarre, coule à travers les districts les plus fertiles d'Espagne et se jette dans la mer Baléare, en-dessous des murs de la ville de Tortosa. Le roi réduisit ensuite et rendit tributaire toute l'Italie, d'Aoste jusqu'à la Basse Calabre, là où court la frontière entre les Bénéventins et les Grecs. L'Italie apporta au royaume un territoire de plus de mille miles de longueur. Puis de même pour la Saxe, qui n'est pas une petite partie de la Germanie et qui est estimée être grande deux fois le territoire habité par les Francs, en largeur, et à peu près égale à lui en longueur. De plus furent conquises les deux Pannonie, la Dacie au-delà du Danube, l'Istrie, la Liburnie et la Dalmatie, exceptées les villes de la côte qu'il laissa à l'empereur grec en gage d'amitié et à cause du traité qu'il avait passé avec lui. Enfin, il vainquit et rendit tributaires toutes les tribus sauvages et barbares qui habitaient en Germanie entre le Rhin et la Vistule, et entre l'Océan et le Danube. Ces tribus parlent un langage très semblable mais différent beaucoup entre elles par les coutumes et les vêtements. Les principales de ces tribus sont les Welatabiens, les Sorabes, les Abodrites et les Bohêmiens et il dut mener la guerre contre elles. Mais les autres, qui, de loin, en constituent le plus grand nombre, se soumirent d'elles-mêmes

16. Les relations étrangères
Il ajouta à la gloire de son règne en gagnant la bonne volonté de plusieurs rois et nations. Ainsi, l'alliance qu'il avait contractée avec Alphonse, roi de Galicie et des Asturies, et ce dernier, quand il envoyait des lettres ou des ambassadeurs à Charles, se qualifiait invariablement, son vassal. Sa munificence lui gagna les rois des Scots, qui rendirent une telle déférence à ses souhaits qu'ils ne lui donnèrent jamais d'autre titre que "seigneur" ou qu'ils ne qualifièrent jamais eux-mêmes autrement que "sujets" et "esclaves". Des lettres complètes d'eux existent, où tout cela est exprimé. Ses relations avec Aaron, le roi des Perses, qui gouvernait presque tout l'Orient, l'Inde exceptée, étaient si amicales que ce prince préférait la faveur du roi à celle de tous les autres rois et potentats de la Terre et qu'il considérait que c'était à Charles seul que l'on devait les marques d'honneur et de munificence. C'est ainsi que lorsque les ambassadeurs envoyés par Charles pour visiter le très saint Sépulcre et le lieu de la Résurrection de Notre Seigneur et Sauveur, se présentèrent devant lui avec des présents et qu'ils lui firent connaître les voeux du roi, non seulement il accorda ce qui était demandé mais il donna à Charles la possession de ce lieu saint et béni. Lorsque les ambassadeurs rentrèrent, il renvoya des ambassadeurs à lui avec eux, avec des présents magnifiques, en plus d'étoffes, de parfums et d'autres riches produits des terres orientales. Quelques années auparavant, Charles lui avait demandé un éléphant et il lui avait envoyé le seul qu'il avait. Les empereurs de Constantinople, Nicéphore, Michel et Léon firent le premier pas et recherchèrent l'alliance et l'amitié de Charles par le biais de plusieurs ambassades. Et même lorsque les Grecs le suspectèrent de projeter de les dépouiller de l'empire, du fait de son élévation au titre d'Empereur, il conclurent une forte alliance avec lui de façon qu'il n'ait aucune cause de s'offenser. En fait, les Grecs et les Romains avaient toujours vu le pouvoir franc d'un oeil jaloux, d'où le proverbe grec: "Aie les Francs pour amis, mais pas pour voisins"

17. Travaux publics
Ce roi, qui s'était montré si grand en étendant son empire et en soumettant des nations étrangères et qui s'était constamment préoccupé de plans pour ce faire, entreprit également de très nombreux travaux dont le but était d'orner le royaume et de lui bénéficier. Plusieurs furent achevés. De ceux-ci, ceux qui méritent le plus d'être mentionnés sont la basilique de la Sainte-Mère de Dieu à Aix-la-Chapelle, construite de la plus admirable manière, et un pont sur le Rhin à Mayence, long d'un-demi mile, c'est-à-dire de la longueur du fleuve à cet endroit. Le pont fut détruit par le feu l'année avant que Charles ne meure, et c'est ainsi, puisque l'empereur mourut peu après, qu'il ne put être réparé bien que le roi ait prévu de le faire reconstruire en pierre. Il fit commencer deux palais d'une qualité magnifique. L'un près de son manoir nommé Ingelheim, non loin de Mayence, l'autre à Nimègue, sur le Waal, le fleuve qui baigne le Sud de l'île des Bataves. Mais, par-dessus tout, ce furent les édifices sacrés qui furent l'objet de ses soins dans toute l'étendue du royaume. Chaque fois qu'un tombait en ruine du fait de l'âge, il commandait que les prêtres et les pères qui en avait charge, le réparassent. Et il veillait par des envoyés que ses ordres fussent exécutés. Sur un autre plan, il équipa une flotte pour la guerre contre les Normands. Des vaisseaux furent construits sur les rivières de Gaule et de Germanie qui se jettent dans l'Océan du Nord. De plus, comme les Normands, de façon continuelle, infestaient et dévastaient les côtes de Gaule et de Germanie, il fit mettre en place des veilles et des gardes dans tous les ports et aux embouchures des fleuves suffisamment larges pour laisser entrer des navires, de façon à empêcher l'ennemi de débarquer. Les mêmes précautions furent prises au Sud, contre les Mores, en Narbonnaise et en Septimanie, et sur toute la côte de l'Italie aussi loin que Rome. Les Mores avaient récemment commencé leurs pratiques de piraterie. D'où que l'Italie, à cette époque, ne souffrit pas grand dommage du fait des Mores ni la Gaule et la Germanie du fait des Normands. Les seules exceptions furent que les Mores prirent possession par traîtrise de la cité étrusque de Civita Vecchia et la mirent à sac, et que les Normands dévastèrent quelques-unes des îles de Frise, au large des côtes allemandes

18. La vie privée du roi
C'est ainsi que Charles défendit son royaume, l'agrandit tout autant, et l'embellit, comme cela est bien connu. Et qu'il me soit de plus permis ici d'exprimer mon admiration de ses grandes qualités et de son extraordinaire constance que ce soit dans la bonne ou la mauvaise fortune. Je vais maintenant continuer en donnant les détails de sa vie privée et familiale. Après la mort de son père, et alors qu'il partageait le royaume avec son frère, il supporta avec beaucoup de patience l'inimitié et la jalousie de celui-ci, et, à l'étonnement de tous, personne ne put l'amener à se mettre en colère contre lui. Plus tard, de même que sa mère était une Lombarde (ou: à l'instance de sa mère), il épousa une fille de Didier, le roi des Lombards. Mais il la répudia après un an pour une raison inconnue et il épousa Hildegarde, une Souabe de haute naissance. Il eut d'elle trois fils -Charles, Pépin et Louis- et autant de filles -Hruodrud, Bertha et Gisèle. Il eut trois autres filles -Théoderade, Hiltrude et Ruodhaid, deux de sa troisième femme, Fastrade, une Franque de l'Est -c'est-à-dire une Germaine- et la troisième d'une concubine dont le nom m'échappe pour l'instant. A la mort de Fastrade, il épousa Liutgarde, une Alamanne, qui ne lui donna pas d'enfants. Après sa mort, il eut trois concubines -Gersuinde, une Saxonne dont il eut Adaltrude, Regina qui fut la mère de Drogo et de Hugh, et Ethelinde dont il eut Théodoric. Berthrade, la mère de Charles passa son viel âge avec lui, grandement honorée. Le roi entretenait la plus grande vénération pour elle et il n'y eut jamais aucun désaccord entre eux, sauf lorsque Charles divorça de la fille de Didier, mariage qui avait été conclu pour faire plaisir à Berthrade. Berthrade mourut peu de temps après Hildegarde après avoir vu (ou: survécu à) trois petit-fils et autant de petites-filles dans la maison de son fils. Elle fut enterrée en grande pompe dans la basilique de St-Denis, là où reposait Pépin. Charles avait une soeur, Gisèle, qui s'était consacrée dès l'enfance à la vie religieuse. Et il avait autant d'affection pour elle que pour sa mère. Elle mourut aussi quelques années avant lui dans le monastère où elle avait passé sa vie

19. Suite de la vie privée
Le plan que Charles avait adopté pour l'éducation de ses enfants fut d'abord que les garçons autant que les filles fussent instruits dans les arts libéraux, vers lesquels lui-même d'ailleurs tourna son attention. Dès que leur âge le permit, et en accord avec la coutume franque, les garçons durent apprendre à monter à cheval, et à pratiquer la guerre et la chasse. Les filles, elles, durent se familiariser avec la couture, à manier la quenouille et le fuseau de façon à ce qu'elles ne deviennent pas indolentes par oisiveté et il encouragea chez elles tout sentiment vertueux. Il ne perdit que trois de ses enfants avant sa mort, deux fils et une fille: Charles, l'aîné, Pépin, qu'il avait fait roi d'Italie, et Hruodrud, sa fille aînée, qu'il avait promise en mariage à Constantin, empereur des Grecs. Pépin laissait un fils, nommé Bernard, et cinq filles, Adélaïde, Atula, Guntrada, Berthaid and Theoderade. Le roi donna une preuve frappante de son affection paternelle lors de la mort de Pépin. Il désigna son petit-fils pour succéder à Pépin et il fit élever ses petites-filles avec ses propres filles. Lorsque ses fils et sa fille moururent, il ne resta pas aussi calme qu'aurait pu laisser le croire son esprit extraordinairement fort, car ses affections n'étaient pas moins fortes et elles l'amenèrent aux larmes. De même, lorsqu'on lui apprit la mort d'Hadrien, le Pontife Romain, qu'il avait le plus aimé d'entre ses amis, il pleura comme s'il avait perdu un frère, ou un fils très cher. Par nature, le roi était prompt à entrer en amitié. Non seulement ceci mais il restait fidèle et il avait la plus grande des affections pour ceux avec qui il établissait de tels liens. Charles avait un tel soin de l'éducation de ses fils et des ses filles qu'il ne prenait jamais un repas sans eux quand il était chez lui et qu'il n'entreprenait jamais un voyage sans eux. Ses fils chevauchaient à ses côtés, et ses filles suivaient alors qu'un grand nombre de ses gardes du corps, détachés pour leur protection, fermait la marche. Il est étrange, par contre, que belles comme étaient ses filles, et les aimant comme il les aimaient, qu'il ne voulut jamais les marier -à un homme de leur nation ou à un étranger- mais qu'il les garda en sa demeure jusqu'à sa mort, disant qu'il ne pouvait se passer de leur compagnie. D'où que, heureux par ailleurs, il expérimenta en ce qui les concerne, la malignité de la fortune. Il cacha cependant qu'il connaissait les rumeurs qui couraient à leur égard et les suspicions entretenues à leur sujet

20. Conspirations contre Charlemagne
De l'une de ses concubines, il avait eu un fils, beau de visage mais bossu. Il s'appelait Pépin et j'ai omis de le mentionner dans la liste de ses enfants. Alors que Charles était en guerre contre les Huns et hivernait en Bavière, Pépin feignit d'être malade et complota contre son père en compagnie de quelques-uns des chefs francs qui le séduisirent en lui faisant miroiter la royauté. Lorsque sa trahison fut découverte, et les conspirateurs punis, il fut tondu et l'on admit, selon ses voeux, qu'il se vouât à une vie religieuse au monastère de Prüm. Une conspiration terrible avait été mise en place auparavant en Germanie contre Charles, mais tous les traîtres avaient été bannis, certains sans mutilation, d'autres après que leurs yeux eussent été crevés. Trois seulement furent tués mais seulement parce qu'ils avaient tiré leur épée et résisté à leur arrestation. Ils tuèrent plusieurs hommes et on dut les tuer car on ne put les maîtriser autrement. On suppose que c'est la cruauté de la reine Fastrada qui fut la cause première de ces complots et ils furent tous les deux dûs au fait que Charles approuvait en apparence la cruelle conduite de sa femme et qu'il s'écartait de la gentillesse et de la douceur habituelles de son caractère. Pendant tout le reste de sa vie, il fut respecté par chacun avec l'amour et l'affection les plus extrêmes, à tel point que pas la moindre accusation de rigueur injuste ne fut jamais portée contre lui

21. Comment Charlemagne traitait les étrangers
Charles aimait les étrangers et se donnait beaucoup de peine pour les prendre sous sa protection. Il y en avait souvent un tel nombre, à la fois au palais et dans le royaume, qu'ils auraient raisonnablement pu être considérés comme une nuisance. Mais, lui, avec son grand sens de l'humanité n'en était que peu gêné parce qu'il pensait que les grands inconvénients engendrés par la présence de ces étrangers étaient compensés par les louanges faites à sa générosité et par la récompense d'une grande renommée

22. L'apparence personnelle de Charles
Charles était grand et fort, et d'une stature élevé, bien que pas disproportionnellement grand. Il est bien connu que sa taille était sept fois la longueur de son pied. La partie supérieure de sa tête était ronde, ses yeux très grands et animés, son nez un peu long, des cheveux blonds et un visage riant et joyeux. D'où que son apparence était toujours imposante et digne, qu'il ait été debout ou assis. Ceci bien que son cou ait été épais et d'une certaine façon court et son ventre plutôt proéminent. Mais la symétrie du reste de son corps cachait ces défauts. Son maintien était ferme, son port était viril; sa voix était claire mais pas aussi forte que sa taille aurait pu le laisser supposer. Sa santé fut excellente sauf dans les quatre années précédant sa mort. Il fut alors sujet à de fréquentes fièvres. Dans les derniers temps, il boitait même un peu d'une jambe. Même au cours de ces dernières années, il suivait plus ses propres inclinaisons que les avis des médecins, qui lui étaient devenus odieux dans la mesure où ils voulaient qu'il remplaçât les rôts auxquels il était habitué pour les remplacer par de la viande bouillie. Selon la coutume franque, il montait souvent à cheval et il allait souvent à la chasse, deux activités pour lesquels rares sont les peuples au monde qui peuvent égaler les Francs. Il aimait les exhalaisons des sources chaudes naturelles et il pratiquait souvent la nage, dont il était un tel adepte que personne ne pouvait le surpasser. Et c'est pour cela qu'il fit bâtir le palais d'Aix-la-Chapelle et y vécut constamment pendant ses dernières années. Non seulement il avait l'habitude d'inviter ses fils au bain, mais également ses nobles et ses amis, voire de temps à autre une troupe de son escorte ou de ses gardes du corps, ce qui fait qu'une centaine de personnes ou plus finissait par prendre leur bain avec lui

23. L'habillement
Le roi avait l'habitude de porter l'habit national, c'est-a-dire l'habit franc: sur la peau une chemise et une culotte de lin et par dessus une tunique bordée de soie. Des jambes de pantalon serrés par des bandes couvraient le bas de ses jambes et des souliers ses pieds. En hiver, il protégeait ses épaules et sa poitrine par un manteau serré de loutre ou de martre. Par dessus le tout, il portait une cape bleu et il portait toujours une épée, habituellement avec une poignée d'or ou d'argent et une ceinture du même métal. Il portait quelquefois une épée ornée de bijoux, mais seulement les jours de grande fête ou pour la réception d'ambassadeurs de nations étrangères. Il méprisait les façons de s'habiller étrangères, quelque belles qu'elles fussent, et jamais il ne s'autorisa à s'en vêtir sauf deux fois quand il revêtit la tunique romaine, la chlamyde et les souliers, une première fois à la demande du pape Hadrien, une deuxième fois pour faire plaisir au pape Léon, le successeur d'Hadrien. Les jours de grande fête, il prenait des vêtements brodés et des souliers couverts de pierres précieuses. Son manteau était alors retenu par une boucle d'or et il apparaissait couronné d'un diadème d'or et de pierres précieuses. Mais les autres jours, son costume différait peu de l'habit habituel de son peuple

24. Habitudes
Charles faisait preuve de tempérance pour ce qui est de manger, et particulièrement pour ce qui était de boire. Il détestait l'ivresse chez quiconque, encore plus en ce qui le concernait lui et sa famille. Par contre il avait plus de mal à s'abstenir de nourriture et se plaignait souvent que le jeûne attentait à sa santé. Il ne donnait que rarement des divertissements, seulement les jours de grande fête, et pour de grands nombres de gens. Ses repas étaient ordinairement constitués de quatre plats, sans compter le rôt que ses chasseurs lui amenaient chaque jour sur la broche. C'était le plat qu'il appréciait le plus. Pendant qu'il était à table, il écoutait une lecture ou de la musique. Les sujets des lectures étaient les histoires et les faits de l'ancien temps. Il aimait aussi les livres de St Augustin, particulièrement celui intitulé "La cité de Dieu"
Il était si modéré dans l'usage du vin ou de tout autre liquide qu'il s'autorisait rarement plus de trois coupes au cours d'un repas. En été, après le repas de midi, il mangeait un fruit, buvait une coupe, enlevait ses vêtements et ses chaussures, comme il l'aurait fait pour la nuit, et il se reposait pendant deux à trois heures. Il avait l'habitude de se réveiller et de se lever du lit quatre ou cinq fois pendant la nuit. Pendant qu'il s'habillait et mettait ses chaussures, non seulement il donnait audience à ses amis mais si le Comte du Palais lui faisait état de tout procès dans lequel son jugement était nécessaire, il faisait venir les parties devant lui sur le champ, prenait connaissance du cas et rendait sa décision, juste comme s'il avait été assis sur le siège du Jugement dernier. Et ce n'était pas la seule activité à laquelle il se livrait à ce moment-là. Il pouvait faire tout ce qui devait être fait, soit qu'il eût à agir par lui seul, soit qu'il donnât des ordres à ses officiers

25. Etudes
Charles avait le don d'être enclin à parler et de parler facilement. Il pouvait exprimer tout ce qu'il avait à dire avec la plus grande des clartés. Non seulement il maîtrisait sa langue natale, mais, de plus, il prêtait attention à étudier les langages étrangers. En particulier, il maîtrisait tellement bien le latin qu'il le parlait aussi bien que sa langue natale. Par contre, il comprenait mieux le grec qu'il ne le parlait. Il était si éloquent qu'il aurait pu passer pour un maître d'éloquence. Il cultivait les arts libéraux avec un zèle très jaloux et tenait en grande estime ceux qui les enseignaient et il leur conférait de grands honneurs. Il avait pris des leçons de grammaire du diacre Pierre de Pise qui, à cette époque, était un homme âgé. Un autre diacre, Albin, d'Angleterre, surnommé Alcuin, un Saxon, et qui était le plus grand enseignant de son temps, l'enseignait dans les autres branches du savoir. Le roi passait beaucoup de temps et de travail avec lui, étudiant la rhétorique, la dialectique et spécialementl'astronomie. Il apprit à calculer et à étudier la position des corps célestes avec beaucoup de curiosité et un soin minutieux et intelligent. Il s'essaya aussi à écrire et il avait l'habitude de garder des tablettes et des feuilles d'écriture sous son oreiller de façon qu'à ses heures de loisir il pût habituer sa main à former les lettres. Mais, comme il n'avait pas commencé ces efforts à l'âge habituel mais tard dans sa vie, il ne rencontra que peu de succès en la matière

26. Sa piété
Il aimait avec la plus grande ferveur et dévotion les principes de la religion chrétienne. Ils avaient été instillés en lui dès l'enfance. C'est ainsi qu'il fit construire la magnifique basilique d'Aix-la-Chapelle, qu'il avait ornée d'or, d'argent et de lampes, ainsi qu'avec des rambardes et des portes de cuivre. Il avait fait venir des colonnes et des marbres de Rome et de Ravenne car il n'avait pas pu en trouver de convenables ailleurs. Il pria constamment à cett église aussi longtemps que sa santé le lui permit, s'y rendant le matin et le soir, et même après la nuit tombée et de plus assistait à la messe. Il avait soin que tous les services y fussent conduits avec la plus extrême des exactitudes, prévenant très souvent les sacristains de ne pas laisser quoi que ce soit d'inapproprié ou de sale être amené dans l'édifice ou y rester. Il dota la basilique d'un grand nombre de vases sacrés d'or et d'argent ainsi que d'une si grande quantité de robes de clercs que pas même les portiers, qui remplissaient les plus humbles fonctions dans l'église, n'étaient obligés de mettre leurs habits de tous les jours dans l'exercice de leurs fonctions. Il se donna beaucoup de peine pour améliorer les lectures d'Eglise et la psalmodie car il était doué dans ces deux domaines bien qu'il n'ait jamais lu ou chanté en public ou chanté. Pour ce qui est du chant, il chantait cependant, dans les tons graves, et avec les autres

27. Générosité
Il était prompt à secourir les pauvres et à cette générosité gratuite que les Grecs appellent l'aumône. Au point que non seulement il se faisait une obligation de donner dans son propre pays et son propre royaume mais qu'aussi, une fois qu'il eût découvert que des chrétiens vivait dans la pauvreté en Syrie, en Egypte, en Afrique, à Jérusalem, Alexandrie et Carthage, il eut pitié de leurs besoins et prit l'habitude de leur envoyer de l'argent, par-delà les mers. Cela était aussi la raison qui l'amenait à rechercher avec zèle l'amitié des rois étrangers. Il pouvait ainsi faire parvenir de l'aide et du secours aux chrétiens qui vivaient dans ces royaumes
Par dessus tous les lieux saints et sacrés, il aimait l'église de St-Pierre-l'Apôtre à Rome et il avait augmenté le trésor de cette église avec beaucoup d'or, d'argent et de pierres précieuses. Il envoya de grands et nombreux cadeaux aux papes et tout au long de son règne le voeu qui lui tint le plus à coeur fut de rétablir, par ses soins et son influence, l'ancienne autorité de la cité de Rome et de défendre et protéger l'église de St Pierre, et de l'embellir et l'enrichir avec ses propres réserves pour l'élever au-dessus des autres églises. Malgré toute cette vénération, il ne se rendit à Rome en pélerinage que quatre fois en 47 ans de règne

28. Charlemagne couronné empereur
Lorsqu'il fit son dernier voyage à Rome, il avait aussi d'autres fins. Les Romains venaient alors d'infliger de nombreuses blessures au pape Léon, lui déchirant les yeux et lui coupant la langue. Le pape avait été obligé de faire appel au roi. Aussi Charles était venu à Rome pour remettre de l'ordre dans les affaires de l'Eglise, lesquelles étaient en grande confusion et il passa l'hiver là. C'est alors qu'il reçut le titre d'Empereur et d'Auguste, pour lesquels il eut d'abord une telle aversion qu'il déclara qu'il ne serait jamais entré dans l'église le jour où ils lui furent conférés -bien que ce jour fut une grande fête- s'il avait pu prévoir le dessein du pape. Il supporta patiemment la jalousie dont firent preuve les empereurs des Romains quand ils apprirent qu'il assumait désormais cette fonction, car ils prirent la chose très mal. Mais à force de fréquentes ambassades et lettres qu'il leur adressa comme à des frères, il fit que leur orgueil céda à sa magnanimité, une qualité en laquelle il leur était sans question supérieur

29. Réformes
Ce fut après qu'il eut reçu le titre impérial que, trouvant les lois de ses peuples remplies de défauts -les Francs avaient deux ensembles de lois, très différentes sur beaucoup de points, il décida d'y ajouter ce qui manquait, de résoudre les contradictions et de corriger ce qui était mauvais et incorrectement cité en elles. Cependant, en réalité, il n'alla pas plus loin en ce domaine que de compléter les lois par quelques capitulaires, et seulement les lois imparfaites. Mais il fit que les lois non écrites de toutes les tribus qui étaient passées sous sa souveraineté fussent compilées et mises par écrit. Il fit aussi écrire, pour qu'elles soient transmises à la postérité, les vieux chants qui célébraient les faits et les guerres des anciens rois. Il commença une grammaire de sa langue natale. Il donna aux mois des noms de sa propre langue au lieu des noms latins et barbares sous lesquels ils étaient connus jusque là chez les Francs. De la même façon il donna douze noms appropriés aux vents alors que jusque là, il n'y en avait qu'à peine plus de quatre. Janvier devint Wintarmanoth; Février, Hornung; Mars, Lentzinmanoth; Avril, Ostarmanoth; Mai, Winnemanoth; Juin, Brachmanoth; Juillet, Heuvimanoth; Août, Aranmanoth; Septembre, Witumanoth; Octobre, Windumemanoth; Novembre, Herbistmanoth; Décembre, Heilagmanoth. Les noms des vents sont: Subsolanus, Ostroniwint, Eurus, Ostsundroni, Euroauster, Sundostroni, Auster, Sundroni, Austro-Africus, Sundwestroni, Africus, Westsundroni, Zephyrus, Westroni, Caurus, Westnordoni, Circius, Nordwestroni, Septentrio, Nordroni, Aquilo, Nordostroni, Vulturnus, Ostnordroni

30. Couronnement de Louis. Mort de Charlemagne
Vers la fin de sa vie, alors qu'il était déjà brisé par la mauvaise santé et le vieil âge, il convoqua Louis, roi d'Aquitaine, son seul fils survivant d'Hildegarde et assembla dans le même temps tous les chefs du royaume des Francs dans une assemblée solennelle. Avec leur consentement unanime, il décida que Louis règnerait avec lui sur tout le royaume et l'institua héritier du titre impérial. Puis, plaçant le diadème sur la tête de Louis, il demanda qu'il fût proclamé empereur, ce que tous acclamèrent car il semblait bien que ce fut Dieu qui l'ait inspiré de le faire pour le bien du royaume. Cela augmentait la dignité du roi et cela ne portait pas peu de terreur dans les nations étrangères. Une fois qu'il eut renvoyé son fils en Aquitaine, et bien qu'affaibli maintenant par l'âge, il partit, comme d'habitude, pour chasser près du palais d'Aix-la-Chapelle. Il passa l'automne à chasser et ne revint à Aix-la-Chapelle que vers le 1er novembre. Alors qu'il y passait l'hiver, il fut, au mois de janvier, saisi d'une haute fièvre, et il prit le lit. Dès lors qu'il tombˆt malade, il prit lui-même la décision de s'abstenir de nourriture, ce qu'il faisait toujours en cas de fièvre, pensant que la maladie pouvait être évacuée, ou au moins atténuée, par le jeûne. En plus de la fièvre, il souffrait d'une douleur au côté, de ce que les Grecs appellent pleurésie. Mais il persista à jeûner, ne maintenant sa force qu'en prenant l'air à de très longs intervalles. Il mourut le 28 janvier, le septième jour qu'il eût pris le lit, à neuf heures du matin, après avoir pris part à la Sainte Communion, dans la 72ème année de son âge et la 47ème de son règne

31. Enterrement
On lava son corps et on en prit soin de la façon habituelle puis on le porta à l'église et on l'enterra au milieu des très grandes lamentations de tout le peuple. On se demanda d'abord où l'enterrer car, de son vivant, il n'avait pas donné d'ordres quant à son enterrement. Finalement tout le monde tomba d'accord qu'il ne pourrait pas être plus honorablement enterré que dans cette basilique qu'il avait fait construire de ses propres deniers dans la ville, par amour de Dieu et de Notre Seigneur Jésus-Christ, et en l'honneur de sa Mère, la Sainte et Eternelle Vierge Marie. Il y fut enterré le jour même où il mourut et une arche dorée, avec son image et une inscription, fut élevée au-dessus de la tombe. L'incription portait: "Dans cette tombe repose le corps de Charles, le Grand et Orthodoxe Empereur, qui étendit glorieusement l'étendue du royaume des Francs, et règna avec prospérité pendant 47 ans. Il mourut à l'âge de 70 ans, l'année de Notre Seigneur 814, Indiction 7, le 28ème jour de janvier"

32. Présages de mort
De très nombreux présages avaient annoncé cette fin qui approchait. Et il l'avait reconnu aussi bien que les autres. Des éclipses à la fois du Soleil et de la Lune furent très fréquentes pendant les trois dernières années de son règne, et une tache noire fut visible sur le Soleil pendant 7 jours. La galerie qu'il avait fait construire, à grand peine et travail, entre la basilique et le palais, s'effondra le jour de l'Ascension de Notre Seigneur. Le pont de bois sur le Rhin à Mayence, qu'il avait fait construire, au prix d'un dur travail de dix ans, avec un art admirable, de telle sorte qu'il semblait devoir durer toujours, fut si rapidement consommé par un incendie accidentel, en l'espace de trois heures, qu'il n'en resta, si ce n'est ce qui était sous l'eau, pas une seule écharde. De plus, lors de sa dernière campagne en Saxe contre Gotfred, roi des Danois, Charles lui-même vit une boule de feu tomber soudainement du ciel, avec une grande lumière alors qu'il quittait juste le camp, avant le lever du soleil, pour se mettre en marche. La boule de feu traversa le ciel clair de droite à gauche, et chacun se demanda ce que signifiait ce signe. Alors le cheval de l'empereur s'affaissa brutalement, la tête surtout, et tomba, ce qui projeta si violemment Charles à terre que la boucle de son manteau fut cassée et que sa ceinture d'épée se fracassa. Et une fois que ses servants se furent précipités pour le débarasser de ses armes, il ne put se relever sans leur assistance. Il avait un javelot en main lorsqu'il tomba et celui-ci fut si violemment éjecté qu'on le retrouva à 20 pieds ou plus. De nouveau, le palais d'Aix-la-Chapelle trembla fréquemment et les toits des bâtiments faisaient entendre des crépitements permanents alors que la basilique, après ceci, fut frappée par l'éclair et la boule dorée qui ornait le pinacle du toit fut détruite par la foudre et projetée sur la maison de l'évêque, qui se trouvait à côté. Enfin, alors que sur la marge de la corniche qui courait à l'intérieur de la basilique, entre les tiers supérieurs et inférieurs des arches, on avait inscrit, en lettres rouge, une légende précisant qui était le constructeur de l'église, cette légende se terminant par "Karolus Princeps" -"Charles, Empereur", certains, l'année de la mort de Charles, quelques mois avant sa mort, remarquèrent que les lettres du mot "Princeps" étaient à ce point effacées que l'on ne pouvait plus les lire. Mais Charles méprisa, ou affecta de mépriser tous ces présages, dans la mesure où il estima qu'ils n'avaient aucun rapport avec lui

33. Testament
Il avait été dans son intention de faire un testament, de façon qu'il puisse donner une part d'héritage à ses filles et aux enfants de ses concubines, mais il le commença trop tard et ne put le terminer. Cependant, trois ans avant sa mort, il avait fait une répartition de ses trésors, argent, vêtements et autres biens meubles, en présence de ses amis et serviteurs, et il les avaient appelés à en être les témoins, de façon que leur parole assure la ratification des dispositions qu'il avait prises. Il fit faire un résumé de ses volontés concernant cette distribution, dont voici les termes et le texte:
"Au nom de Dieu, le Père Tout-Puissant, du Fils, et du Saint-Esprit. Ceci est l'inventaire et la division de ses biens dictés par le très glorieux et très pieux seigneur Charles, Empereur Auguste, dans la 811ème année de l'Incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dans la 43ème année de son règne en France, la 37ème en Italie, la 11ème de son Empire, Indiction 4. Ce sont des considérations de piété et de prudence qui ont l'ont décidé -et la faveur de Dieu qui le lui a permis- à faire cette répartition de ses trésors et de l'argent qui ont été certifiées ce jour se trouver dans sa chambre du Trésor. Par cette division de ses biens, il est spécialement désireux non seulement de faire que de large aumônes que tout chrétien fait habituellement de ses biens soient faites en son nom en temps voulu et prises de ses biens, mais aussi que ses héritiers soient libres de tout doute et sachent clairement ce qui leur appartient et puissent partager ce qui leur revient d'une façon appropriée sans litige ou dispute. Avec cette intention et à cette fin, il a d'abord divisé tout ce -dont les biens meubles- qui a été certifié se trouver dans sa chambre du Trésor ce jour dessus-dit, en or, argent, pierres précieuses et ornements royaux, en trois parts et a subdivisé deux de ces parts en 21 parts, conservant entière la troisième. Les deux premiers lots ont été divisés en 21 parts parce, dans le royaume, se trouvent 21 cités métropolitaines reconnues et il faudra que chaque archevêché puisse recevoir en tant qu'aumônes, par le biais des héritiers, et des amis, du roi, une desdites parts et que l'archevêque qui sera alors titulaire de l'archevêché puisse prendre la part et partager ladite avec ses suffrageants de façon qu'un tiers aille à l'Eglise, et les deux tiers restant soient divisés entre les suffrageants. Les 21 parts en lesquelles les deux premiers lots ont été divisées, selon le nombre de cités métropolitaines reconnues, ont été individualisées l'une de l'autre et chaque part a été placée dans une boîte marquée du nom de la ville à laquelle elle est destinée. Les noms des villes auxquelles ces aumônes ou largesses doivent être envoyées sont: Rome, Ravenne, Milan, Frioul, Grado, Cologne, Mayence, Salzburg, Trèves, Sens, Besançon, Lyon, Rouen, Reims, Arles, Vienne, Moutiers-en-Tarentaise, Embrun, Bordeaux, Tours, et Bourges. Le troisième lot, que le roi souhaite conserver entier, doit être imputé comme suit: alors que les deux premiers lots doivent être divisés en les parts dessus-dites et mises à part sous sceau scellé, le troisième lot sera utilisé pour les besoins quotidiens du donateur, en tant que propriété qu'il ne sera en aucune obligation de partager pour répondre à une quelconque volonté, et cela aussi longtemps qu'il sera en vie ou qu'il considèrera la part comme nécessaire à ses besoins. Mais au jour de sa mort, ou au jour de sa renonciation volontaire aux affaires de ce monde, ledit lot sera divisé en quatre parts, dont l'une sera ajouté aux susdites 21 parts, la seconde reviendra à ses fils et filles, et aux fils et filles de ses fils, de façon à être distribuée entre eux en juste et égal répartition. La troisième part, selon la coutume commune chez les Chrétiens, sera réservée aux pauvres. La quatrième part ira aux servants et servantes en charge au palais. C'est la volonté du testateur que cette troisième part, qui, autant que le reste, consiste en or et argent, soit augmentée de toute la vaisselle et de tous les ustensiles de cuivre, fer, et autres métaux, ainsi que des armes, vêtements, et autres biens meubles, de prix ou de peu de prix, propres à divers usages, comme des tapisseries, des couvre-lits, tapis, objets de laine, objets de cuir, selles de somme, et de tout ce qui se trouvera dans la chambre du Trésor et garde-robe à ce moment, ce de façon que les parts dudit lot puissent être augmentées et les aumônes ainsi distribuées à plus de personnes. Il ordonne que sa Chapelle, c'est-à-dire ses biens d'Eglise, autant ceux qui lui sont propres que ceux qui lui viennent en héritage de son père, restent dans leur intégrité et ne soient affectés d'aucun partage. Que cependant, s'il se trouve là quelques vases, livres ou autres objets dont on sait sûrement qu'il n'ont pas été donnés par lui à la Chapelle, quiconque les veut les aura à condition de payer leur juste prix, justement estimé. Il commande de même que les livres qu'il a collectionnés en grand nombre dans sa bibliothèque soient vendus à un juste prix à ceux qui veulent les acheter, et que l'argent qui en sera tiré soit donné aux pauvres. Il est bien connu que parmi ses autres biens et trésors se trouvent trois tables en argent, et une, très grande, très massive, en or. Il veut et déclare que la table carrée en argent, sur laquelle se trouve une représentation de la ville de Constantinople, soit envoyée à la basilique de St-Pierre-l'Apôtre à Rome, en même temps que les autres présents destinés audit lieu. Que la table ronde, ornée d'un tracé de la ville de Rome, soit donnée à l'église épiscopale de Ravenne; que la troisième, qui surpasse de loin les deux autres en poids et en beauté de confection et qui représente trois cercles, montrant le plan de l'Univers entier, tracés avec art et délicatesse, aille, ainsi que la table d'or, la quatrième mentionnée, augmenter le lot qui est destiné à ses héritiers et aux aumônes. Tout ceci et les dispositions ci-contenues, il a décidé et voulus en présence des évêques, abbés et comtes qui pouvaient être présents et qui ont signé ci-dessous. Evêques: Hildebald, Ricolf, Arno, Wolfar, Bernoin, Laidrad, John, Theodulf, Jesse, Heito, Waltgaud. Abbés: Fredugis, Adalung, Angilbert, Irmino. Comtes: Walacho, Meginher, Otulf, Stephen, Unruoch, Burchard, Meginhard, Hatto, Rihwin, Edo, Ercangar, Gerold, Bero, Hildiger, Rocculf"
Le fils de Charles, Louis, qui par la grâce de Dieu lui a succédé, après avoir examiné ce résumé, a pris le soin de remplir très fidèlement toutes ces volontés, aussitôt que possible après la mort de son père

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