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La transition entre culture antique et culture de l'Occident

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Depuis le début des invasions germaniques dans l'Ouest de l'Empire romain, au début du Vème siècle, jusqu'à l'époque carolingienne, l'histoire de la culture en Occident devient chaotique. C'est tout un monde qui change, passant de la culture comme élément de vivre des familles aristocratiques romaines à l'attitude de l'Eglise et des royaumes germaniques face à la culture

La culture dans l'Ouest de l'Empire romain avant les invasions germaniques

Si l'on s'en tient au monde celte tout particulièrement, qui, sauf le monde germanique où l'implantation romaine avait été moindre, représentait le substrat principal sur lequel s'était installé Rome, les Celtes, curieux et faconds, amis de l'art oratoire, du trait qui porte, avec leur bardes, leurs prophètes ovates et leurs druides étaient devenus des Gallo-romains. Les Romains ouvrirent, dans quasiment toutes les villes, des écoles publiques, les "gymnases". Ainsi à Narbonne, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Arles, Poitiers, Vienne, Besançon, Agen, Clermont, Périgueux voire Trèves, etc. Existent aussi des écoles privées. L'enseignement d'alors porte sur la littérature, la philosophie, les mathématiques, la médecine, Virgile, Homère et la rhétorique (l'étude du droit et de la philosophie nécessite que l'on se rende à Rome et ce jusqu'au Vème siècle lorsque ces matières seront autorisées aussi d'enseignement dans les provinces). Aux gymnases sont adjoints des jardins avec arbres et des bains pour la gymnastique, la culture du corps, très prisée des Romains. Les gymnases sont dirigés par un "gymnasiarque" assisté de plusieurs officiers (le "proscholes", l'"antéscholes", l'"hypodidascales"), qui veillent sur les maîtres et les élèves, coordonnant l'action des enseignants. Les proscholes sont particulièrement chargés de l'éducation physique et de la discipline

Un épisode grec de la culture en Occident mérite aussi d'être mentionné: depuis Phocée (Marseille) et les rivages du golfe du Lion, une culture grecque (avec une école à Marseille et une à Autun) s'était implantée, vantée par Cicéron et Tacite et avait tendu à se perpétuer jusqu'au premiers Pères de l'Eglise de Gaule, tels Salvien, Cassien, saint Césaire ou saint Avit. Cette école s'était illustrée par des écrivains ou des scientifiques tels Télon (pour les mathématiques), Erastothènes (histoire), Crinias et Démosthène (médecine), Zénothène (le droit) ou Trogue-Pompée et Aulu-Gelle. Autun, plus spécialement, ancienne métropole des Gaules et siège, pour le Sud du pays, du pouvoir des druides, avait vu arriver comme directeur en 297, du fait de l'empereur Constance Chlore, Eumènes, de l'Ecole d'Athènes. Autun, avec la conquête romaine, avait remplacé la celtique Bibracte car mieux située dans la vallée de l'Arroux et comprenant toutes les caractéristiques d'une ville romaine: mur, portes, tours, amphithéâtre, théâtre (considéré comme le plus grand du monde romain), université fréquentée par toute la jeunesse gallo-romaine. Augustodunum se disait "soror et aemula Romae", la soeur et l'émule de Rome. A l'arrivée d'Eumène Autun avait déja été affaiblie par les désordres du IIIème siècle. Dès Auguste, par ailleurs, par son gendre Agrippa, c'était Lyon (Lugdunum) qui avait été considérée comme le siège du pouvoir impérial pour les trois provinces impériales gauloises d'Aquitaine, Celtique et Belgique (la Narbonnaise était sénatoriale). Chaque année, le 1er août, se tenait au sanctuaire fédéral des trois Gaules le rassemblement des délégués des 60 peuples gaulois et Lyon servait de point de départ à un réseau routier joignant le reste du monde gallo-romain

Le sort de la culture antique du fait de la chute de l'Empire romain en Occident

Deux nouvelles réalités font face à la culture au moment de la chute de l'Empire romain en Occident: celle du catholicisme (dont l'influence, d'ailleurs, s'exerce dès le début du IVème siècle du fait de son admission dans l'Empire par l'empereur Constantin) et celle des nouveaux peuples germains

L'Eglise, aux premiers temps (par exemple St Jérôme) a d'abord méprisé les oeuvres antiques car elles sont considérées comme des vecteurs de toute la pensée païenne. Puis, par exemple, un concile, à Carthage, continua de défendre aux évêques la lecture des écrivains antiques mais autorisa à ce que ces oeuvres soient conservées, de façon que l'on puisse les combattre et l'Eglise distingua entre littérature sacrée et littérature profane. La reconnaissance du catholicisme dans l'Empire amène, par ailleurs, une faveur des écoles, des lettrés, des scientifiques et de l'effort d'éducation des jeunes, sans compter que l'Eglise doit former elle-même ses propres clercs et qu'elle intègre, pour son usage, des éléments des connaissances antiques: ainsi l'astronomie, pour fixer la date de Pâques, la musique pour la liturgie, la poésie, l'architecture, la sculpture, la peinture, l'art dramatique, etc. Pendant un temps, après la chute de Rome, de plus, les écoles romaines de Gaule (Autun, Lyon, Bordeaux) se maintinrent. La culture antique qui se maintient dans les écoles cathédrales et monastiques est, avant tout, une culture utilitaire et Martianus Capella est l'auteur favori. Tôt, par ailleurs, des chrétiens, sortis de la plèbe, fréquentèrent les écoles romaines. Par ailleurs, la chute de l'Empire romain, en Occident, sous les coups des Germains, est concomitant à un développement accéléré de l'implantation du catholicisme. Dans les monastères, surtout, qui en sont construits, la culture sacrée et profane se réfugie et l'activité intellectuelle, dont des débats philosophiques fondamentaux. Les grands premiers monastères de Gaule, ainsi, furent Ligugé, Marmoutiers (Tours), Saint-Faustin (Nîmes), Saint-Victor (Marseille), Lérins (îles d'Hyères), Saint-Claude (Franche-Comté), Grigny (vers Vienne), etc. Certains de ces monastères, avec, par exemple, Cassien aux îles d'Hyères, se situaient sous l'influence de moines venus d'Orient

La culture antique, ensuite, dans une sorte de symbiose entre l'Eglise et l'aristocratie gallo-romaine subsistante, reste l'apanage de cette dernière. Jusqu'au VIème siècle, se perpétue ainsi en Gaule cette ancienne aristocratie gallo-romaine, laquelle, de plus, continue de donner au pays des évêques (ainsi jusqu'à Grégoire de Tours, saint Eloi ou saint Ouen). La vie de l'esprit, pour cette classe de la population, a de l'importance. Ont ainsi appartenu à ce monde Ausone, Sidoine Apollinaire, ou saint Avit. D'une façon générale, cependant, on voit, au sein de ces anciennes aristocraties romaines, un lent passage qui se fait de la défense de la culture antique en tant que telle, en tant que signe d'appartenance à la volonté d'apporter cette culture antique aux Germains voire de la réapporter aux Romains d'Italie devenus ignorants. C'est toute la différence entre un auteur comme Boèce, qui continuait de vivre en vase clos, avait la nostalgie de la culture antique et qui commenta et interpréta Aristote, approfondissant l'art du raisonnement et un auteur comme Cassiodore, qui par les monastères et la production de livres, finit par former un recueil complet des connaissances de l'Antiquité, des sept arts libéraux, empruntant la forme de ses ouvrages à Philon, Boèce et Capella. En grammaire, Cassiodore résuma Donat. Sa rhétorique vient en partie de Cicéron, sa dialectique de Varron et Boèce. Ses mathématiques viennent du grec Nicomaque et de traductions d'Apulée et Boèce. Sa musique se réfère à Gaudence, traduit par Mucien et au "Contra Paganos" de Clément d'Alexandrie. En astronomie il se réfère à Boèce et en géométrie Varron, Censorinus et Euclide traduits par Boèce. Tout cela était présenté de façon simple à comprendre et à apprendre par coeur. Ce courant, finalement, se poursuivra, par exemple, pour l'Espagne, par Isidore de Séville, qui, dans son encyclopédie, les "Etymologies", reprendra Cassiodore, pour l'essentiel, n'ajoutant que quelques idées personnelles ou encore, pour l'Angleterre, par Bède le Vénérable. St Isidore resta, en Occident, l'auteur le plus célèbre et le plus cité. Ses "Etymologies' furent écrites, en latin, au début du VIIème siècle et elles visaient à rassembler la connaissance de son temps; elles devinrent ainsi la première encyclopédie de l'Occident chrétien. Il se pourrait qu'Isidore ait suivi l'influence de son aîné, St Léandre, qui dirigea sa formation intellectuelle et lui transmit une érudition composée de la culture antique et de la culture de l'Eglise. Une telle référence multiforme s'exprima donc dans les Etymologies, qui sont considérées comme la première encyclopédie du Moyen Age. Ce fut également une oeuvre scientifique, composée selon des règles précises, une méthode et un plan rigoureux. La méthode de St Isidore se fondait sur l'"étymologisme", d'origine platonicienne, selon lequel le mot définit la chose qu'il désigne. Aussi, les Etymologies sont-elles un ensemble de connaissances liées aux arts libéraux -ainsi, d'ailleurs, que d'autres champs de la connaissance- et à aux domaines de la science et de la technologie; elles ont pour sujet Dieu, le monde physique et l'homme. Certains, sur un autre plan, considèrent St Isidore comme le précurseur des Encyclopédistes des Lumières car, au-delà des arts libéraux habituels, il fait référence à la philosophie, au langage, la médecine, le droit, les mathématiques, les sciences naturelles et les "arts domestiques"

Les aristocraties germaniques, devenues les maîtres en Occident, elles, ont surtout des valeurs militaires. Tout au plus, pour celles de ces aristocraties guerrières qui sont catholiques, culture égale moines et vie religieuse, et ce n'est que sur cette base que l'on peut parler d'un respect de la culture par les Germains. Le prestige vient de la guerre et de la conquête et la culture ne sert même pas à communiquer dans les assemblées, qui sont à la fois techniques de gouvernement et réunion des aristocraties guerrières. Cette attitude des élites militaires germaniques vis-à-vis de la culture se perpétuera longtemps. Une forme de vie culturelle, cependant, tend à se maintenir auprès des cours des souverains occidentaux. Ainsi,les Burgondes avaient une école à Lyon, régie par l'évêque Viventiole, les Wisigoths réussirent à publier le célèbre Bréviaire d' Alaric, un abrégé du Code Théodose et un roi ostrogoth comme Théodoric eut pour auxiliaires des auteurs tels Cassiodore, Symmaque, ou Boèce mêmes (mais la connaissance scientifique, particulièrement, à cette époque, ne consistera plus qu'en deux livres de la géométrie d'Euclide et quelques fragments d'Aristote traduits par Boèce). Cette forme de respect de la culture se rattachait au fait que, quoique hérétiques -des ariens- ces peuples étaient chrétiens et donc reliait culture et Eglise. Par contre, les premiers Francs, par exemple, longtemps restés païens, étaient restés plus loin de la culture, jusqu'à la conversion de Clovis, à la fin du Vème siècle. Même chez les Lombards, plus tard, l'activité intellectuelle a existé, en particulier les écoles de Pavie, d'où furent issus, par exemple, Paul Diacre ou Pierre de Pise

Le déclin de la culture sur le continent firent que le lieu de la culture, à l'Ouest passa à l'Irlande. St Patrick, ainsi, avait été formé à Leirins et donc à l'influence de l'Orient. L'île celte, emplie de tradition druidique, accueillit essentiellement le christianisme en tant qu'exaltation de l'esprit, ce qui correspondait à ce mysticisme druidique -St Patrick lui-même venait du Pays de Galles. Le catholicisme irlandais et les érudits d'Irlande se rapportèrent avant tout à St Jean, le plus mystique des quatre Evangélistes, ce qui mena à une activité intellectuelle élevée et à des audaces intellectuelles venues des druides celtes (les érudits irlandais côtoyèrent des auteurs platoniciens trop peu compatibles avec le catholicisme -ainsi Martianus Capella et sa proximité d'avec les anciens mystères d'Egypte, le symbolisme et la science mystérieuse du paganisme antique). Ce catholicisme mystique engendra aussi, sur le plan de la vie monastique, des pratiques ascétiques fortes

Pour conclure, on peut avancer que le maintien d'un pouvoir relativement plus fort et cohérent, en Orient, à Byzance, au moment de la chute de l'Empire romain, a sans doute eu une influence sur ce qui se passait en Occident. La force de Martianus Capella dans les écoles ecclésiastiques de Gaule, ou l'influence néo-platoniciste en Irlande en semblent des indices nets

La culture à l'époque mérovingienne

Les facteurs de désordre, en Occident, s'accentuent à l'époque mérovingiennne. C'est l'époque où un affaiblissement progressif, mais net, de Byzance, depuis vers l'an 600 -pour cause de débats théologiques (vers 640) puis de conquête arabe (vers 660) permet à Rome de re-développer une politique indépendante, essentiellement, d'ailleurs, dans un premier temps, axée sur les royaumes anglo-saxons, où l'influence de Rome s'affirme fortement. Le monachisme, dans les royaumes d'Occident, est revitalisé par la règle de saint Colomban dans la première moitié du VIIème siècle. Elle redonne aux monastères une mission d'évangélisation. Les Irlandais créent également des monastères nouveau: en Bretagne, tôt, puis Luxeuil, Bregenz, Saint-Gall, Remiremont, Jumièges, Jouarre, Saint-Wandrille, Corbie, Fécamp. Mais la règle de saint Benoît, ce fondement d'un monachisme purement occidental, essaime aussi en Europe du fait du voyage de saint Augustin vers l'Angleterre: de 20 ans plus tardifs que les colombaniens, les monastères bénédictins se développent: Saint-Pierre-en-Vallée (Auxerre), Saint-Riquier, Saint-Maur-des-Fossés, Saint-Amand, Saint-Bertin (ou Saint-Omer), Stavelot, Malmédy, St-Dié, St-Vaast (Arras), Fleury-sur-Loire, Moissac, Noirmoutier. L'influence des bénédictins en Occident, correspond peut-être à la volonté de s'individualiser des royaumes germains d'Occident. L'Irlande, quoique tendant à se refermer sur elle-même, continua cependant, semble-t-il d'exercer une forme d'influence intellectuelle, que l'on retrouvera jusqu'à l'époque de Charlemagne, puis de ses descendants. C'est l'époque où la culture se réfugie dans les monastères et où elle n'est plus qu'une culture sacrée: on apprend à lire et on lit la Bible et les Pères de l'Eglise. On enseigne la grammaire, la musique et la théologie, distinguant entre "petites" et "grandes" classes. Les églises et les paroisses ont aussi très tôt leurs écoles (on parle d'" écoles épiscopales" ou, plus simplement, d'"écoles ecclésiastiques"). Dès le VIème siècle, Grégoire le Grand en organise à Rome. De telles écoles sont recommandées par les conciles de Tours, Vaison, Liège, Clif et Constantinople. Elles se répandent alors en Gaule, en Grande-Bretagne, en Espagne. D'autres décisions prescrivent d'en doter aussi les églises rurales (dans le "pastophorium", le prêtre doit réunir des "lecteurs" et les former à l' étude des lettres et à la prêtrise), lointaine origine des séminaires. Les évêques eux-mêmes, dans leurs villes cathédrales, remplissent en personne cette fonction d'enseignement pour la doctrine chrétienne (qui est une de leur fonction fondamentale) pour les clercs et les laïcs, les jeunes et les vieux. Ainsi saint Rémi à Reims, saint Prétextat à Rouen, saint Germain à Paris, saint Grégoire à Tours ou Venance Fortunat à Poitiers

Dans le monde franc, stricto sensu, les relations avec le pape se rompent à cette époque. Pour ce qui est de l'attitude des Francs par rapport à la culture, Clovis semble avoir établi, auprès de l'abbaye Ste-Geneviève, dans son palais, une "école palatine", qui formait aux lettres et à la poésie. Il ne semble pas cependant qu'il se soit agi d'une institution durable et qu'elle visait surtout à permettre l'éducation de Childebert, fils du roi. Il semble par ailleurs que la "commendatio" -ou "comitatus"- cette ancienne tradition germanique selon laquelle de jeunes guerriers se confiaient à un chef renommé pour, entre autres, se former à la guerre, se transforma, pour partie, à la cour des Mérovingiens, en ce que les jeunes Francs vinrent auprès du roi non seulement pour se former à la guerre mais aussi pour se former en général. Un ou deux évêques de l'entourage du roi, recevant le titre de "chef des clercs du palais" devinrent chargés de donner à ces jeunes guerriers une instruction religieuse et littéraire. L'Ecole créée pour Childebert fut perpétuée par lui et par la reine Ultrogothe et sa soeur, Swegotha. Le roi parlait latin, le premier des Mérovingiens à le faire et un cénacle s'était perpétué à la cour -bardes, clercs, moines venus de Grèce- et se réunissait dans le palais et ses jardins, à Issy. Des nobles des "provinces" -ainsi un aquitain, Frambald- y étaient également envoyés pour y être instruits. Une activité intellectuelle se maintint aussi sous Clotaire Ier et Charibert, rois de Paris ainsi que, plus soutenue, sous Chilpéric Ier, cela jusqu'à la fin du VIème siècle. Cela traduit sans doute vers une forme certaine de volonté culturelle indépendante dans le royaume franc aussi bien qu'une volonté d'influence venue de Byzance voire de chez les Wisigoths. On ne peut réellement commencer à parler d'une Ecole palatine mérovingienne que sous Clotaire II, vers 620 car les cénacles précédents acquièrent un caractère de stabilité et de durée. Cela traduit une nouvelle influence: le premier chef de l'Ecole palatine mérovingienne fut Betharius, un romain de haute naissance, instruit dans les écoles revivifiées en Italie, par Boèce et Cassiodore, et venu s'installer à Chartres. Il y fonda des écoles, avec l'évêque et il fut appelé à la cour dès avant 590. Se succédèrent ensuite à la tête de l'Ecole palatine Rustique (de 594 à 622; ensuite évêque de Cahors), saint Sulpice de Bourges (vers 616; qui était aussi chapelain du roi), Athanase, Riculfe et Varimbert (de 630 à 640), saint Ouen (vers 640; archevêque de Rouen). L'Ecole palatine des Mérovingiens était fréquentée, selon le principe du "comitatus", par les jeunes princes et les jeunes seigneurs francs de haut rang. On y enseignait déjà les lettres latines -mais aussi "allemandes"-, les chants nationaux anciens glorifiant le passé et les grands faits d'armes, les lois -romaines et barbares. Saint Léger, disciple de saint Sulpice y fut éduqué puis, en tant qu'abbé de saint Maixent et évêque d'Autun, il fonda de nombreuses écoles. Il fut rappelé à la cour par la reine Bathilde, épouse de Clovis II pour diriger le palais et éduquer les trois fils du roi, devenant à son tour le chef de l'Ecole de 651 à 673. L'Ecole palatine des Mérovingiens s'adaptait certainement au nomadisme des rois d'alors. A partir de vers 650, le déclin définitif des Mérovingiens semble entraîner celui de leur Ecole palatine

Pour résumer, il semble bien possible qu'au milieu du jeu des stratégies de Rome et Byzance, sans compter le cas irlandais, la plus grande indépendance de Rome et son dynamisme en direction des royaumes de l'Angleterre permettent, sans doute par le biais de la diffusion de l'influence de la règle bénédictine, un plus grand "recentrage" des deux autres grands royaumes barbares de l'Ouest: celui des Francs (avec, pour la culture, l'exemple de l'Ecole palatine mérovingienne) et celui des Wisigoths (avec le passage au catholicisme et une première forme de renaissance culturelle aussi, avec Isidore de Séville)

La culture juste avant la Renaissance carolingienne

Il est possible qu'une forme de pause dans le déclin de Byzance, avec, de plus, le retour à une forme de dialogue entre Rome et l'empereur de l'Est font que, vers 680, les deux royaumes les plus importants de l'Occident, celui des Francs et celui des Wisigoths, soient abandonnés à de nouveaux désordres: les Carolingiens, chez les Francs commencent d'assumer la réalité du pouvoir mais avec les désodres amenés par la question de l'accession au pouvoir de Charles Martel, vers 714 et, chez les Wisigoths, un déclin net se fait jour, jusqu'à la conquète arabe de 711-714. Mais le dynamisme de l'indépendance pontificale, supportée, nolens volens, par les ambitions lombardes, et confortée par la reprise d'une nouvelle question théologique en Orient, celle de l'iconoclasme à partir de 730 voire par la menace arabe qui se fait plus pressante à partir de l'Espagne, amène un nouveau changement. Après une rupture avec Rome et une crise de l'Eglise franque (depuis le concile de Rouen, en 689, il n'y a plus eu de concile pour l'Eglise franque; l'épiscopat passe aux laïcs ou tombe dans le temporel) et une crise de la culture -le clergé séculier ne sait plus lire et plus personne ne transmet quoi que ce soit aux laïcs (même si un enseignement privé persiste dans les familles aristocratiques); seuls les clercs sont capables d'occuper les emplois de l'administration après l'an 700; Charles Martel ne sait plus écrire alors que Pépin de Herstal, son père, le savait- qui correspondent au regain d'influence byzantine. Les 70 premières années du VIIIème siècle marque le plus bas de l'abandon des lettres chez les Francs. Même les clercs ne peuvent plus être le refuge des lettres et l'ignorance se répand en ces temps de déclin de l'Etat sous les derniers mérovingiens comme de l'Eglise. C'est le temps de l'anarchie, des excès des Grands et le règne du vice, et l'Eglise est emportée par la tourmente: on attente à ses biens et aux clercs; les sièges ecclésiastiques sont occupés par des incompétents, des débauchés ou des laïcs à peine tonsurés. Idem pour les abbayes. De plus, dans les territoires francs les Arabes, au début du siècle, mènent leurs raids. A ce plus bas de l'état des lettres, on n'a plus que peu d'ouvrages: quelques légendes, des morceaux d'histoire, fin de la poésie le tout marqué d'ignorance et de fautes d'orthographe. Seule l'activité missionnaire des Anglo-saxons en Saxe et en Frise, via la propagation de l'Evangile, maintient un certain niveau, St Boniface, archevêque de Mayence, l'"apôtre de la Germanie", en étant la figure exemplaire, travaillant sur ordre du pape et protégé par Charles Martel. St Boniface, en 751, conférera le sacre à Pépin le Bref. Il créa, par exemple, Fulda, Fritzlar ou Utrecht. Certaines abbayes de femmes (Eike, en Belgique) copient des ouvrages d'Eglise. Vers 770, quand Charlemagne arrive au pouvoir, le royaume franc est devenu le lieu de l'inculture; les clercs savent désormais à peine lire et écrire et leurs discours ou lettres sont emplis de fautes diverses. Les canons des conciles montrent bien que ce déclin, ces clercs qui ne maîtrisent plus les textes sacrés, a retenti sur l'enseignement des fidèles

Celle-ci s'est essentiellement perpétuée dans les monastères: un certain goût pour les lettres réapparaît dès la fin du VIIème siècle. On lit et on cite Isidore de Séville et, surtout, on va aux sources. De plus, la géographie de la culture s'est aussi recentrée sur le Nord, comme l'économie: elle passe des régions fortement romanisées et d'aristocratie romaine, ravagées par les incursions arabes et les campagnes des Pippinides (Aquitaine, Provence, Bourgogne) où elle était encore relativement importante vers 620, à la Neustrie et l'Austrasie où se trouvent les réels grands centres de culture monastique, dont la liste, après 700, s'établit ainsi: Corbie, Fontenelle (ou St-Wandrille), Chelles, Saint-Denis, Meaux, St-Jean (Laon), Fleury, Saint-Martin de Tours (avec quelques exceptions, encore, plus au Sud: on a lu Boèce et Aristote à Lyon, César et Virgile dans les monastères d'Auvergne et Ovide en Rouergue). Dans ces monastères du Nord, on collectionne les manuscrit que l'on fait venir de Rome ou de Bobbio voire d'Irlande, si ce n'est d'Espagne. On prend modèle, pour les enluminures, d'une bible romaine du Vème siècle et on dispose d'autres ouvrages anciens, venant de l'Afrique ou de l'Espagne d'avant les Arabes, peut-être via l'Austrasie. On recopie, on orne d'enluminures (influence orientale ou irlandaise), on écrit des textes nouveaux (des vies de saints surtout). On crée des bibliothèques, qui, cependant, ne rivalisent pas avec celles d'Angleterre (cela montre cependant une curiosité pour autre chose que la Bible, ce à quoi se limitait St- Colomban). Topisme franc des monastères bénédictins? Influence britannique? En tout cas, la perpétuation de cette activté culturelle prépare, tout simplement, la base de la renaissance carolingienne. Lorsque Charlemagne va lancer celle-ci, les moines et les clercs y seront prêts. Ce mouvement, de plus, ne peut que s'accentuer lorsque la papauté appuie l'oeuvre de Boniface en Germanie. En Germanie, cependant, où seule compte la mission, la culture se limite à la formation sacrée des clercs. A Reichenau, Fulda, Utrecht, Murback, ont lit et commente les textes sacrés, on fait venir d'Italie des bibles, des commentaires des Pères de l'Eglise, des lettres de Grégoire le Grand ou des homélies de Césaire d'Arles. On enseigne aux jeunes moines les disciplines de base qui leur permettent la culture sacrée ensuite. Un peu plus au Sud, en Germanie méridionale -Coire, Saint-Gall- des moines irlandais et anglo-saxons sont aussi présents et en Bavière, les monastères fondés par les ducs locaux accueillent aussi ces missionnaires -et ces régions de contact joueront un grand rôle dans la Renaissance carolingienne... Le renouveau missionnaire s'est fait vers les contrées germaniques: Willibrord en Frise, Killien (un Irlandais) en Thuringe, Winfrid (le premier nom de Boniface) en Frise puis en Hesse et Thuringe et en Bavière et en Alémanie. Boniface fait venir d'autres Anglo-saxons. De plus, vers 730, le dynamisme de Boniface (qui a trouvé le soutien des Francs dans son effort vers le monde germanique: les Francs voient une possibilité d'appuyer leur avance dans la région, les moines ont un soutien et des terres), est réorienté vers le monde franc. La réforme de l'Eglise franque commence par la morale et la discipline (nominations, etc.). Chrodegang, évêque de Metz est celui qui acclimate la réforme car les clercs francs ne sont pas forcément favorables à une réforme faite par des moines d'outre-Manche ou d'Irlande. Malgré la réforme de premier niveau, une partie de l'Eglise (les abbayes royales, les fidèles) reste sous l'ingérence du roi. La reconquête se fait aussi contre le retour des populations paysannes au paganisme, et le maintien, aussi bien dans des campagnes que des villes bien christianisées, d'un syncrétisme et de traditions païennes. Le renouveau dans les populations ne se fera sentir qu'à l'époque de Charlemagne. Cette première réforme marque une pause sous Pépin, le père de Charles, qui ne veut pas d'une trop forte ingérence de Rome dans l'Eglise du royaume et qui préfère travailler à la fidélité des nobles francs. Le résultat de tout ce mouvement sera un premier mouvement intellectuel: en 744, on pourra combattre une hérésie (celle d'Adalbert) et, en 767, on pourra débattre avec les Byzantins sur les icônes et la Trinité. Dans les monastères bénédictins -même les Irlandais du contient sont passés à la règle bénédictine), on écrit des annales (avec la datation selon la naissance du Christ, selon Denys le Petit, moine romain du VIème siècle et transmis par Bède le Vénérable), des chroniques (Grégoire de Tours continuéé par Frédégaire puis par un moine de Saint-Denis à la demande du demi-frère de Charles Martel jusqu'en 727 et encore continuée après 751). Les grands influent sur l'écriture: Chrodegang, ainsi, insistera sur que l'on évoque l'origine troyenne des Francs et la migration des survivants de Troie, de façon à prouver l'antiquité de la race franque, comparée à la légitimité de plus courte durée des Méérovingiens. Mais l'essentiel de la production littéraire sont les vies des saints (hagiographie). Le genre est apparu à Rome dès le IVème siècle et il s'épanouit à partir du VIème siècle. Le genre est plus de prédication morale que d'histoire et il s'agit aussi d'attirer plus de pélerins que le monastère voisin. Chez les élites, Charles Martel souffre de son inculture et s'entoure de quelques intellectuels. Il demande le conseil des juristes et il s'efforce de faire instruire ses enfants à Saint-Denis. Pépin le Bref fera venir à sa cour ou y retiendra des lettrés italiens ou irlandais et il prend pour la chancellerie les clercs les plus capables de rédiger proprement (et le latin des actes royaux commence de s'améliorer, mais les rédacteurs ne font que recopier des formulaires et leur latin est corrompu). L'influence, par ailleurs, grandissante depuis Charles Martel, des laïcs sur les biens d'Eglise -les commandes, les précaires- pèsent sur la vie économique des monastères et donc sur l'activité culturelle, qui n'est pas vue comme essentielle. Les avancées sarrasines sont dommageables aussi aux efforts de maintien de la culture

Evoquons, enfin, rapidement, ce qu'il en est, pour la même époque, des autres pays européens: Rome, bien sûr, avec le pape, reste, bien sûr, un lieu de culture. Les papes, la plupart du temps, sont des érudits, certaines relations avec les monastères grecs amènent des oeuvres antiques, un scriptorium existe au Latran et la "scola cantorum" se consacre au chant grégorien et à la poésie liturgique. La bibliothèque du Latran a réussi, de plus, au fil des siècles, à préserver de grandes bibliothèques privées, ainsi, pour le VIème siècle, celle de Cassiodore. L'Italie, en général, est un endroit où l'on trouve facilement des oeuvres de l'Antiquité, même si, entre la fin du VIème et la fin du VIIème siècle, la présence lombarde a vu les monastères bénédictins se centrer surtout sur la règle bénédictine et moins sur les travaux culturels. Mais les ducs lombards ne sont pas insensibles au prestige de la culture et, à partir de 700, on voit réapparaître une vie culturelle. Des centres culturels réapparaissent: l'abbaye reconstruite du Mont-Cassin, Farfa, au Nor de Rome, St-Vincent du Volturno, ou Bobbio (au milieu des possessions lombardes du Nord, fondation, la bibliothèque comprise, de St Colomban). A la fin du VIIIème siècle, Nonantola, sur le Pô, devient un autre de ces centres alors que Pavie, la capitale des rois lombards, en relation avec Bobbio en est également devenue un: les clercs de l'école épiscole étudient la grammaire, un peu de droit voire de la poésie. Dans le reste de l'Italie du Nord, les écoles épiscopales maintiennent une instruction minimale et forment les clercs, les scribes ou les notaires (pour l'activité commerciale des cités) à base de grammaire et de comput. En Espagne, après, qu'au temps d'Isidore, Séville, Saragosse ou Tolède aient été les centres culturels, c'est Cordoue qui devient, sous les Arabes le centre culturel espagnol: s'y élabore une culture syncrétiste entre Arabes, Juifs et Chrétiens. Cette activité culturelle n'aura que peu d'influence en Europe pendant le VIIIème siècle, ni sur la Renaissance carolingienne mais plus au Xème siècle, entraînant une forme de renouveau de la philosophie et de la science, via ses traductions en latin d'oeuvres grecques et arabes. L'Angleterre, elle, se partage entre influence irlandaise (le Wessex) et influence latine et romaine dans les autres royaumes de l'île, tous développant d'importantes bibliothèques. L'Irlande reste encore le centre d'écoles prestigieuses, dont la célèbre Bangor. Les livres et les hommes circulent. Les scriptorium de Rome, de Bobbio et du Mont-Cassin essaiment leurs copies d'ouvrages antiques; les chefs des écoles d'Angleterre viennent à Rome chercher des copies d'ouvrages ou travaillent avec l'Irlande. Des moines aquitains, pour fuir les conquêtes franques, se sont réfugiés à Farfa; le Mont-Cassin voit passer Willibald (venu du Wessex, il sera un des seconds de Boniface) et a comme étudiant, en 774, le lombard Paul Warnfried, le futur Paul le Diacre; il accueille, comme Bobbio, de nombreux autres érudits du pays des Francs et des royaumes anglais. Boniface, lui, ira à l'école épiscopal de Pavie, comme, d'ailleurs, en 756, Pépin le Bref, du fait du certain niveau d'instruction qu'il a reçu à St-Denis

Ainsi, d'un Ouest de l'Empire romain, uniforme et pratiquant la culture antique, on est passé, à la veille de la Renaissance carolingienne, à des cultures déjà "nationales" et à une marche vers une identité européenne, recentrée sur le Nord des Gaules et l'Austrasie voire la Germanie. Entre la volonté de Byzance de s'assujettir les "roitelets" barbares, celle de Rome de pousser ses pions, le destin franc, une fois de plus, permet à ceux-ci de s'affirmer en tant que puissance du continent. Et cela, cette fois, finira par le rétablissement de l'empire par Charlemagne. Le "temps long" de l'évolution de la culture, dans le monde hérité de Rome, tant dans ses parties occidentales qu'orientales est celui du passage de la culture antique à celui des cultures "européennes", c'est-à-dire fondées sur les nouveaux royaumes où se forgent une nouvelle identité déterminée par les relations entre les élites germaniques et leurs peuples "gallo-romains" alors que l'Empire romain d'Orient devient grec. Rome, en tant que centre du catholicisme, ne joue pas un rôle anodin dans cette évolution, rôle dépendant du réel degré d'autonomie du pape par rapport, surtout, à Byzance. Le nouvel affaiblissement de Byzance, à partir de 730, la dynamique lombarde et l'aura des Carolingiens du fait de la victoire de Poitiers, en 732, vont donner une nouvelle chance à la culture

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